Jean-Luc Gadreau a développé au fil des années un engagement multifacette au sein du protestantisme, et nourrit un regard averti sur les enjeux de la francophonie.
1/ Jean-Luc Gadreau, pouvez-vous vous présenter ?
J’ai 55 ans, marié avec Nadiège depuis 34 ans. Après des études en communication, spécialisées dans le journalisme et l’animation radio et télévision, dans le début des années 80, j’ai été appelé au ministère pastoral, au sein de la Fédération des Églises évangéliques baptistes de France. Ce furent ensuite plus de vingt années d’engagement dans trois Eglises locales. Au fil de ce parcours, j’ai pu concilier les dimensions : le pastorat, la musique, les médias. En ajoutant le cinéma (depuis 2012, expérience des jury œcuméniques à Cannes) et l’écriture, avec deux livres : un essai, « Malléable, pour tout recommencer » puis une bio spirituelle d’Aretha Franklin « Sister Soul »[1]. Depuis deux ans, j’occupe le poste de responsable éditorial et animateur des émissions protestantes sur France Culture.
2/ Vous êtes responsable, sur France Culture, de SOLAE. Pouvez-vous nous décrire cette émission ?
« Solae, le rendez-vous protestant »[2] est l’émission qui a vu le jour le 5 septembre 2021 dans le prolongement et l’élan du « Service protestant » qui consistait, jusque-là, à proposer des méditations bibliques de la part de pasteurs de la Fédération protestante de France le dimanche matin sur France Culture. C’est un nouveau format, avec un nouvel habillage et des rubriques récurrentes. La FPF est venue me chercher avec cette demande de faire évoluer l’émission qui avait plus de 60 ans d’existence. France Culture souhaitait que cette émission se transforme pour tenir compte des évolutions de la vie, des auditeurs et de la manière d’écouter la radio avec le développement des podcasts. Il y a eu un an de tests, un travail de réflexion mené avec un comité de suivi représentant la diversité des Églises qui composent la FPF, une présentation au Conseil national et, quand tout a été validé, nous avons pu démarrer.
SOLAE (France Culture), un nouveau format qui cartonne
Tous les dimanches matins, trente minutes sous forme d’entretiens avec des invités d’horizons divers. Une lecture biblique (le rdv avec la Parole) est le fil rouge présent dans chaque émission lue par des voix dédiées, avec une boucle musicale récurrente et identifiable. Un temps voulu comme un espace pour comprendre ce que le texte biblique peut nous révéler, nous inspirer encore aujourd’hui. Nous voulons rejoindre tous les auditeurs, croyants ou non, et faire œuvre d’interpellation et de réflexion. Une façon de sortir de l’entre soi et profiter d’être sur une radio nationale de grande écoute pour produire une émission de qualité qui touche tous les aspects de la vie. Un dimanche, nous parlons de la Bible, une autre fois d’une question de société, un témoignage, une rencontre avec l’histoire, un temps culturel… Autre repère dans chaque émission, la chronique avec une équipe de chroniqueurs d’univers et de styles différents, qui viennent éclairer les sujets de façon décalée.
Après bientôt un an, le résultat est très positif avec de bons retours mais surtout des chiffres d’audiences extrêmement encourageants puisque nous avons beaucoup progressé tant dans l’écoute direct qu’avec les podcasts. Et la convention qui nous lie à France culture a pu être signée à nouveau pour plusieurs années et dans d’excellentes conditions.
3/ Parmi vos nombreuses compétences, vous êtes un grand amateur de cinéma. Quel est votre regard sur la manière dont la religion – et notamment le protestantisme -, est traitée dans la production culturelle audiovisuelle francophone ?
Dans la production francophone, ce traitement est insignifiant et, quand la religion apparait, ce n’est généralement pas de façon très sympathique. Ce qui n’est pas le cas dans une grande part de l’œuvre cinématographique mondiale. Je reviens du dernier Festival de Cannes où, justement, avec d’autres, nous nous faisions la remarque que beaucoup de films présentés dans les diverses sélections cannoises abordaient de front la question religieuse ou, en étaient imprégnés, voir y faisaient de sérieuses allusions. Avec des critiques, certes parfois, mais pas que. La religion et la foi sont aussi montrées comme une dimension importante de l’existence humaine. Dans plusieurs films on peut rencontrer des pasteurs, des Églises protestantes… dans du cinéma scandinave, américain, africain ou asiatique notamment.
En France, c’est souvent compliqué avec la question religieuse. Au nom d’une laïcité mal interprétée. Je le vois aussi avec les prix de Jury œcuménique qui récompensent des longs métrages de la compétition officielle. Non pas des films dits « religieux » mais des « œuvres aux qualités à la fois artistiques et humaines qui sondent la profondeur de l’âme et la complexité du monde », qui mettent en lumière des « valeurs de l’Évangile » comme la justice ou la réconciliation. La mention du prix sur les affiches à la sortie du film est un gage de qualité dans la plupart des pays, mais reste souvent invisible pour la France. La peur des distributeurs est sans doute d’être assimilé à un film religieux. Pour moi, c’est une erreur, car le palmarès de ce Jury à Cannes, Berlin, Locarno… est remarquable avec des films parfois devenus cultes (c’est le cas de le dire) !
Ne pas seulement aimer ceux qui nous ressemblent
4/ Au fil de votre parcours d’engagement au sein du protestantisme français, quels sont les défis qui vous semblent prioritaires dans la manière dont les instances protestantes, aujourd’hui, appréhendent le monde francophone ?
Evoquons d’abord le rapport externe du monde protestant à l’Église. Je crois profondément que la question culturelle est précisément importante. Et avec elle, un lien, une visibilité et une implication plus forte dans la société sont nécessaire. Pas juste dans une démarche « évangélisatrice » mais plus une présence aimante et un véritable intéressement qui l’accompagne. Je suis marqué par le début de Jean 3.16 « Car Dieu a tant aimé le monde… ». Notre besoin est de réapprendre à aimer, et pas seulement ceux qui nous ressemblent et qui pensent comme nous. La notion de « présence » est aussi pour moi primordiale. Être là, disponible, à l’écoute, dans les multiples lieux de vie de nos sociétés. Nous impliquer face aux souffrances… pratiquer la justice, aimer la miséricorde (Cf Michée 6,8)…
Et puis, plus en interne, savoir travailler au respect dans nos relations, et au lien fraternel. Nous pouvons avoir des convictions, des identités qui s’expriment et marquent des différences, et c’est une force et une richesse que d’avoir tant de diversité. Mais il nous faut revoir nos trop grandes facilités à condamner, rejeter… et, au contraire, enrichir nos relations et les liens qui doivent nous permettre de dire le Christ et manifester la grâce dans les missions qui sont les nôtres.
5/ Pour conclure, pourriez-vous nous dire un peu plus sur SOLAE, ses projets, son ouverture sur la francophonie ? Pourrait-on savoir quelle est la part d’audience de votre émission, hors France métropolitaine ?
D’après certains retours, les podcasts fonctionnent très bien, et de plus en plus, sur l’Afrique. Mais le public cible reste en priorité celui de France Culture, qui a beaucoup changé sur les dernières années et, il faut le dire, est aujourd’hui extrêmement diversifié. Dans les chroniqueurs de l’émission, la Belgique et la Suisse sont représentées. Nous travaillons aussi à des partenariats qui permettent de renouveler les thématiques. Cette année avec l’Alliance biblique il y a une volonté de parler de la Bible autrement tous les quatrièmes dimanches du mois. Répondre aussi à des questions basiques qui rejoignent un autre type de public. L’année prochaine d’autres partenariats vont voir le jour, sur des thématiques autour de l’entraide, du social et j’espère parvenir à avoir plus souvent des artistes de gospel en live.
[1] SISTER SOUL, Aretha Franklin, sa voix, sa foi, ses combats aux éditions Ampelos – Préface de Bertrand Dicale.
[2] www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/service-protestant