Fernand Idriss Mintoogue, étudiant en thèse de doctorat, travaille sur l’histoire de la christianisation du Cameroun. Voici un aperçu de ses travaux.
A l’occasion d’un colloque international organisé par le laboratoire GSRL les 22 et 23 octobre 2021, Fernand Idriss Mintoogue (EPHE-PSL / IMAF) a eu l’occasion de présenter un aspect de ses travaux (1), basés sur des études de terrain à Yaoundé (Cameroun). Il étudie la nouvelle donne politico-religieuse induite par la croissance du pentecôtisme. Voici un aperçu de l’analyse qu’il a développée, à partir de l’histoire de la christianisation du Cameroun.
Christianisation du Cameroun et position dominante du catholicisme
Fernand Idriss Mintoogue rappelle en préambule que les premiers missionnaires chrétiens à s’être officiellement implantés aux Cameroun sont protestants, de la Mission Baptiste. Joseph Merrick et Alfred Saker arrivent de la Jamaïque en 1843, et fondent la mission de Bimbia. Par la suite, grâce à l’appui du gouvernement allemand, des missionnaires de la Mission de Bâle, en compagnie de presbytériens allemands et de baptistes américains, puis des missions protestantes françaises s’établissent aussi au Cameroun.
La catholicisme, quant à lui, s’est implanté plus récemment au Cameroun. C’est le 25 octobre 1890 que le gouvernement d’Otto Von Bismark ouvre à l’église catholique la terre du Cameroun. Des missionnaires pallotins y tissent alors un premier réseau de paroisses, écoles, hopitaux, et développent précocement des relations étroites avec l’administration coloniale. Ces liens catholiques institutionnels avec les gouvernements locaux vont perdurer, se solidifier durant l’époque coloniale, et ils se maintiennent après les indépendances. L’Eglise catholique, avec son maillage territorial et son réseau, se pose alors en partenaire politique du pouvoir, invitant les fidèles à voter pour les dirigeants en place.
Durant l’ère coloniale (1884-1916, 1916-1960), les deux christianismes implantés, le catholicisme et le protestantisme, effectuent peu ou prou les mêmes missions, tout en s’inscrivant en concurrence en termes d’occupation du territoire.
Un essor pentecôtiste qui vient bousculer l’hégémonie catholique
Après l’indépendance (1960), le paysage religieux camerounais reste marqué par cette bipolarité catholicisme (plus influent politiquement) et protestantisme. Une sorte d’ »idylle » marque, durant les premières décennies d’indépendance, les relations entre l’Etat et l’Eglise catholique. Mais la donne commence à changer, au travers de l’influence religieuse protestante du Nigeria, qui connaît peu à peu un grand mouvement revivaliste de type pentecôtiste, charismatique, prophétique. L’incursion du pentecôtisme, marquée par le rôle central du Saint-Esprit et de l’efficacité divine, se fait d’abord discrète dans les années 1970, puis beaucoup plus massive à partir des années 1990. D’autant plus qu’une nouvelle loi sur les associations permet, au Cameroun, une libéralisation religieuse dont les nouvelles Eglises évangéliques et pentecôtiste profitent. Cela se fait remarquer d’abord dans les régions anglophones, frontalières du Nigéria, puis dans les régions francophones où, souligne Fernand Idriss Mintoogue, c’est une « percée fulgurante » qui s’opère. Les miracles, séquences prophéties-révélations, chants, dispositifs de délivrance font mouche. Les conversions se multiplient, sur la base d’une offre religieuse décentralisée, marquée par l’importance des « Eglises portatives » (2).
Repositionnements et accommodements
Dans un premier temps, le positionnement politique des Eglises pentecôtistes et prophétiques est très critique vis-à-vis d’un pouvoir jugé corrompu. Les « fils des prophètes » sont appelés à prendre la relève. Proches des populations, plus sensible que l’Eglise catholique aux problématiques de délivrance, de sortie de la pauvreté et de lutte anti-sorcellaire qui sont au cœur des attentes religieuses, les nouvelles Eglises critiquent la position dominante, héritée de la colonisation, qu’occupe, selon eux, le catholicisme, partenaire du pouvoir. Elles demandent la mise en place d’une nouvelle donne.
L’Etat réagit avec méfiance. Certes, ses relations ne sont plus si privilégiées avec l’Eglise catholique. Depuis la fin des années 1980, les rapports se sont tendus. Mais le pouvoir s’inquiète de la pression pentecôtiste et son espoir d’un Cameroun nouveau où gouverneraient les fils des prophètes. En 2013, il fait brutalement fermer plus de 500 lieux de culte pentecôtistes, désignés comme « églises non-autorisées ». Depuis lors, les acteurs pentecôtistes ont modéré leurs attaques contre le régime en place. Alors que les relations Etat-Eglise catholique se sont par ailleurs graduellement détériorées, les acteurs se repositionnent, dans des logiques de compétition et d’accommodement : un « duel » confessionnel évolutif, mais toujours arbitré par le bon-vouloir du pouvoir.
(1) Fernand Idriss Mintoogue est en cours de préparation de sa thèse de doctorat, intitulée Le Corps mis à mal. Conceptualisations du corps, de la maladie et des soins en milieux urbains et ruraux au Cameroun, thèse EPHE-PSL
(2) Sariette Batibonak, « Megachurches et ‘Eglises portatives’ au Cameroun, Afrique Contemporaine, 2014/4, n°252, p.143-144.