Retour sur le parcours du fondateur de la première megachurch francophone de Belgique.
Basée dans le célèbre quartier de Molenbeek (Bruxelles), La Nouvelle Jérusalem a longtemps été considérée comme la plus grande Eglise de type pentecôtiste implantée en Belgique. Elle revendiquait, en 2011, environ 4000 membres, répartis entre une église principale située à Bruxelles, et 33 annexes réparties sur le territoire belge et à l’international. Dix ans plus tard, cette megachurch francophone s’est stabilisée, après avoir traversé une épreuve considérable : le décès, le 29 août 2019, de son fondateur, l’évêque Martin Mutyebele Lukanda (1950-2019), puis celui de son épouse Rosiane Ngoi (1951-2020).
On doit à Martin Mutyebele Lukanda, appuyé par son épouse Rosiane, d’être le maître d’œuvre de la première megachurch francophone de Belgique, rattachée aux Eglises de Dieu (Church of God), dénomination pentecôtiste internationale dont le siège est basé à Cleveland (Tennessee). Figure majeure de la francophonie protestante à la charnière des XXe et XXIe siècle, il a été l’un des principaux acteurs du redéploiement évangélique francophone postcolonial en contexte de diaspora et de « territoire circulatoire ». Qui était cet homme ?
Converti en 1970 au Congo RDC, Martin Mutyebele aurait reçu un appel pour le pastorat en 1973, lors d’un séjour pour études à Dakar, capitale du Sénégal. Animateur d’un groupe biblique universitaire (GBU), engagé dans une Eglise baptiste, il rejoint ensuite les Assemblées de Dieu (ADD), de type pentecôtiste. Organisé, travailleur acharné, très bon enseignant, patient et déterminé, Mutyebelé devient diacre dès l’âge de 22 ans. Après un retour au Zaïre (Congo RDC), au cours duquel il participe à la création d’une Eglise pentecôtiste au Katanga (Viens et vois), il achève en 1980 des études d’ingénieur civil métallurgiste, puis se fait engager par la SOZACOM, entreprise minière congolaise. C’est en jeune-homme déjà aguerri à « l’œuvre de Dieu » qu’il s’installe ensuite à Bruxelles (1985), pour le compte de la société dans laquelle il travaille comme ingénieur. Il est rejoint quelques mois plus tard par son épouse Rosiane Ngoi.
Une « Nouvelle Jérusalem » à Bruxelles (1986)
Dans la capitale belge, il retrouve un missionnaire américano-mexicain qu’il connaissait déjà au Zaïre, John Tigerina. Ce dernier a la vision d’implanter une assemblée pentecôtiste africaine. Tijerina, qui connaît les qualités du jeune Martin Mutyebele, le prend son aile. Les deux hommes collaborent, puis Martin Mutyebele, jusque-là responsable des jeunes et de la chorale, prend la direction de la nouvelle Eglise. Devenu officiellement pasteur en juin 1986, il développe dès lors une assemblée résolument pentecôtiste et africaine, principalement congolaise, « avec l’aval de la Church of God », dénomination pentecôtiste internationale à laquelle il est rattaché (1). C’est alors que l’assemblée prend le nom de Nouvelle Jérusalem. L’Eglise ne se développe pas de manière automatique. Il faut un contexte porteur, mais aussi toute l’énergie et la passion pédagogique du pasteur Mutyebele, accompagné par son épouse, Rosiane Ngoi, pour que les fidèles, peu à peu, se rallient. L’offre spirituelle et sociale proposée est riche et variée : elle combine expressions pentecôtistes (prière en langue), enseignement biblique approfondi, délivrance, mais aussi chorales performantes, et liturgie soignée, scandée avec une ponctualité scrupuleuse. Pour avoir visité à plusieurs reprises cette assemblée (2), trois choses frappent l’observation : le soin extrême donné à chaque élément du culte, via une organisation minutieuse, l’accueil chaleureux prodigué, après le service, par le pasteur lui-même et son équipe, et l’équilibre singulier entre influences pentecôtistes, africaines et européennes, au travers de cultes proposés en trois langues, le lingala, le français et le swahili.
En 1996, le pasteur Mutyebele reçoit le titre d’évêque -selon un usage bien établi dans l’Eglise de Dieu-. Impliqué dans le paysage chrétien belge bien au-delà de la megachurch Nouvelle Jérusalem (NJ), il dispose d’un capital social important. Très bien formé, charismatique, sûr de lui, il ne tombe pas, du coup, dans les pièges qui freinent souvent bien d’autres églises, qui restent de petite taille par peur de contacts extérieurs, sources de concurrence potentielle. Martin Mutyebele, lui, n’hésite pas à ouvrir les portes de l’Eglise aux pasteurs visiteurs. Il accueille aussi Maman Ntumba, prophétesse congolaise très respectée, qui galvanise l’assemblée à ses débuts en 1987. De nombreux diplomates africains prennent l’habitude d’assister parfois aux cultes de Bruxelles. Et comme le bouche-à-oreille est excellent, la croissance est au rendez-vous. De 120 membres en 1986 (2), on passe à 1500 membres dix ans plus tard, puis à près de 4000 à l’entrée des années 2010. Entre-temps, en 2000, l’église a acheté un grand bâtiment, au 174 rue Picard, à Molenbeek… le quartier d’où vient aussi Salah Abdeslam, l’un des auteurs des attentats islamistes (DAESH) du Bataclan en 2015.
« Hub » du Réveil évangélique congolais en francophonie
Le pasteur Martin Mutyebele, par ailleurs époux et père de six enfants, inspire confiance. Le soutien qu’il reçoit de l’Eglise de Dieu (dénomination pentecôtiste Church of God) est constant. Il compte pour beaucoup dans la stabilité de l’assemblée. Mais sans l’assentiment enthousiaste d’une part significative de la diaspora congolaise en Belgique et en Europe francophone, l’assemblée n’aurait pas pu connaître un tel rayonnement. Ouverte sur la société civile et attentive au jeu politique, la Nouvelle Jérusalem n’a rien d’une « Eglise bocal » refermée sur elle-même. Encore moins d’une Eglise tribale, ou d’une Eglise dite « ethnique ». Dixit Martin Mutyebele, à la 48e minute d’une prédication donnée le dimanche 8 juin 2014 : « On a édifié une maison, on a pris des briques et des tôles et beaucoup de choses qui étaient séparées, on les a mis ensemble; l’édification du corps de Christ,. c’est prendre des Congolais, des Camerounais, des Gabonais, des Burkinabe, des Sénégalais, des Belges, et des Français, des Nigerians, etc etc., Et les mettre comment ? Ensemble, pour ne pas former un groupement tribal ! Nous sommes ensemble. Pour l’édification du corps de Christ ».
Les acteurs de la megachurch NJ s’impliquent dans la société belge, à l’image de Lydia Mutyebele, fille du pasteur-fondateur et juriste de formation, qui se porte candidate aux élections locales, en 2007, pour le parti CDH (Centre Démocrate Humaniste), sur un programme appelant à lutter « contre l’indifférence, l’exclusion et la médiocrité ». La megachurch NJ de Bruxelles est également bien présente sur internet, en particulier via une chaîne Youtube dédiée qui permet d’apprécier les prédications du Bishop Mutyebele, mais aussi l’ensemble des cultes, et les prestations des chorales de l’Eglise bruxelloise. Au fil des années 2000, la megachurch Nouvelle Jérusalem est ainsi devenue la principale vitrine du Réveil évangélique congolais en Belgique, et un acteur majeur des recompositions contemporaines de la francophonie évangélique. Lors d’une grande conférence chrétienne européenne intitulée « Afrique élève l’Europe », tenue à Bruxelles en 2009, le fondateur de la Nouvelle Jérusalem est cité en exemple comme une des principales figures de proue d’une nouvelle évangélisation venue d’Afrique, aux côtés d’Enoch Adeboye, Sunday Alelaja, Nana Lukezo, Alain Moloto (4).
Le décès de Martin Mutyebele Lukanda, en août 2019, a porté un coup à cette megachurch bruxelloise. Mais les cadres de l’Eglise ont tenu, l’assemblée a fait front. Le fils aîné, Didier Mutyebele, ingénieur industriel de formation et pasteur de la musique depuis 2003 au sein de la megachurch NJ, a été nommé pasteur principal par l’Eglise de Dieu, le 24 novembre 2019. L’année 2020 n’allait pas épargner l’église, avec le décès de « Maman Bishop », Rosiane Ngoi, le 21 mars 2020, suivi de celui de plusieurs cadres féminins de l’église, auxquelles la megachurch NJ a aussi rendu hommage : Maman Johanna Mukulumanya (22 mars 2020), Maman Emerance Mulanga (31 mars 2020), Maman Titi Makutu ( 3 mai 2020). Touchée par la pandémie Covid19, la Nouvelle Jérusalem n’en continue pas moins ses activités, incluant une banque alimentaire et la construction du centre hospitalier La Miséricorde à Kinshasa. Avec pour cap l’annonce du kerygme chrétien en contexte postcolonial, et un régime d’intensité du Croire fondé sur la conviction d’une faveur divine inébranlable, comme le déclarait Martin Mutyebele lors d’un culte le 8 juillet 2018 : « Quand la tempête commence, elle finit, mais la puissance de Dieu, on ne peut pas la balayer ».
(1), Sarah Demart, Les territoires de la délivrance, thèse de doctorat Université de Toulouse / Louvain La Neuve, 2010, p.306-307.
(2) Séjour dans cette megachurch en 2011, 2014 et 2019 (S.Fath)
(3) Cf. Maïté Maskens, Joël Noret, La Nouvelle Jérusalem. Éléments d’histoire et de sociologie d’une Église pentecôtiste en Belgique, Le figuier, n° 1, France, 2007, p.117-137
(4) Cité dans Sandra Fancello et André Mary (ed), Chrétiens africains en Europe, Prophétismes, pentecôtismes et politique des nations, Paris, Karthala, 2010, p.212-213