C’est le 5 juin 1831, il y a 190 ans jour pour jour, qu’aurait eu lieu la première cérémonie de communion (Cène) dans une église malgache à Ambatonakanga.
Le christianisme était déjà implanté depuis quelques années sur la Grande Île, via la London Missionary Society, à l’œuvre depuis 1824. Rasalama, jeune femme convertie, est restée jusqu’à ce jour la figure la plus emblématique de ces premiers chrétiens malgaches, dans un contexte assez hostile à la nouvelle religion.
Lorsque sa famille s’est installée à Manjakaray, dans les faubourgs de la capitale du pays, Rasalama est devenue membre d’une première communauté chrétienne autochtone, à Ambodin’Andohalo, non loin du palais royal. On la compte parmi les premiers convertis malgaches à être baptisés, en mai 1831.
Quatre ans plus tard, en 1835, la nouvelle reine, Ranavalona I, déclara le christianisme illégal. Suivant les sources malgaches et missionnaires, Rasalama s’est alors cachée dans une grotte, près de sa maison. Finalement découverte, elle est arrêtée, et cédée comme esclave à un courtier, nommé Ramiandravola. Endurant avec patience et abnégation les mauvais traitements, elle aurait refusé, un jour, d’effectuer un travail de couture le dimanche, au nom de sa foi chrétienne, provoquant la colère de son maître. Dénoncée comme chrétienne, elle fut condamnée à mort, pour cause de religion interdite par la reine Ranavalona 1ère. Le 14 août 1837, elle est conduite à Ambohipotsy. « La marche à pied qu’elle a faite, tout en prière et en cantiques, jusqu’au lieu de l’exécution, est devenue légendaire », observe son biographe (1). Transpercée d’un coup de lance, elle est exécutée publiquement. Son corps n’a pas été enseveli, ce qui, dans la culture malgache, revêt une particulière gravité. La dignité dont elle a fait preuve jusqu’à sa mise à mort, assimilée à un martyre, a fortement marqué les esprits ; une église commémorative a, depuis, été érigée. Elle est très visitée.
Une abondante iconographie s’est par ailleurs inspirée de l’événement, à l’image de cette gravure de la Société des missions évangéliques (G. Mondain, dans Jean Laborde, Pour l’amour d’une reine, chapitre XXX, 1929, cf. illustration). Nombre d’écoles chrétiennes de Madagascar portent aujourd’hui le nom de celle que beaucoup qualifient de « première martyre chrétienne » de Madagascar. Figure tutélaire du vibrant christianisme malgache, Rasalama est aujourd’hui célébrée dans beaucoup d’institutions chrétiennes, surtout protestantes, y compris partiellement francophones, comme le lycée privé FJKM Rasalama, à Antananarivo.
Un film documentaire sur Rasalama en 1937
A noter que la figure de Rasalama, « femme forte, femme de foi » croise aussi la francophonie sous l’angle de la culture cinématographique : on estime que le premier film africain fait par un africain aurait été le documentaire de 22 minutes, sans doute principalement en langue française, réalisé en 1937 par le Malgache Philippe Raberojo. Intitulé Rasalama Maritiora, réalisé en noir-et-blanc, il marque un jalon fort dans l’histoire du septième art en Afrique et à Madagascar, alors soumise au joug colonial français.
Son réalisateur était président d’une association francophone de citoyens français d’origine malgache. C’est à l’aide d’une caméra de 9,5 mm qu’il a réalisé ce docu-fiction qui « célèbre, pendant vingt-deux minutes, la colonisation française à Madagascar, notamment en montrant les constructions et les missions » (2)… Mais le film rend aussi hommage à une martyre chrétienne malgache, marquant ainsi une volonté de réappropriation forte, par et pour les Malgaches, d’une identité chrétienne qui ne saurait se résumer à l’occupation coloniale. Montré en 1938 dans la capitale malgache, le film est aujourd’hui perdu… Jusqu’à la proclamation de l’indépendance de Madagascar en 1960, on ne compte plus aucune autre réalisation cinématographique malgache. Aujourd’hui, la mémoire vivace de Rasalama s’est recomposée au travers d’une vaste culture populaire qui rend aussi hommage, dans la mémoire nationale, au rôle fondateur… des femmes : une manière de revaloriser un important héritage matriarcal précolonial, souligné par Koloina Andriamanondehibe (3). Mise à mal par le patriarcat moderne qui s’est imposé depuis la colonisation, cette culture matriarcale malgache trouve, via la figure chrétienne de Rasalama, une figure (re)fondatrice.
(1) Gerald H. Anderson, » Rasalama Rafaravavy« , Biographical Dictionary of Christian Missions, Grand Rapids, W. B. Eerdmans 1998
(2) Karine Blanchon, « Les enjeux du court métrage malgache », Revue Mise au point, 11, 2018
(3) Lire à ce sujet Koloina Andriamanondehibe, » Déconstruire l’antagonisme entre féminisme et société à Madagascar », en trois volets, sur le site de l’Institut du Genre en géopolitique (https://igg-geo.org/)