L’émoi est vif au sein des Eglises d’Expression Africaine en France, qui viennent de perdre leur vice-président, le pasteur Faustin Shungu Okitawungu. Retour sur son parcours.
La pastorale congolaise et les Eglises de la CEAF (Communauté D’Eglises d’Expression Africaine Francophone) sont en deuil. Avec le décès du pasteur Faustin Shungu Okitawungu, survenu le 20 mars 2021, elles viennent de perdre le vice-président de la CEAF, et membre fondateur de la pastorale congolaise.
Le pasteur Faustin Shungu Okitawungu n’a pas toujours été protestant. Il est né dans un milieu catholique congolais très pratiquant, avec un oncle abbé. Lorsqu’il est étudiant, souffrant du cœur, il fait un aller-retour Kinshasa-Brazzaville pour se rendre dans un centre de cardiologie. N’allant pas mieux, de retour à Kinshasa, il est abordé par une collègue de l’université, qui lui suggère de rendre dans une église évangélique. Il est réticent, mais se décide à venir. C’est là qu’il fait l’expérience, dit-il, d’une guérison miraculeuse, après une parole de connaissance de la prophétesse chrétienne Maman Ntumba, figure de proue du Réveil protestant évangélique au Congo.
Faustin Shungu combine alors études et travail à l’hôpital général de Kinshasa comme kinésithérapeute. L’expérience de guérison qu’il traverse transforme profondément son parcours, et son rapport à la foi. En 1984, il quitte le catholicisme et rejoint les Eglises évangéliques de Réveil, qui connaissent un développement fulgurant au Congo. Poursuivant sa formation en kinésithérapie respiratoire et son activité professionnelle, il arrive en France à l’âge de 28 ans, en 1989, afin de pouvoir se spécialiser. C’est là que sa trajectoire s’oriente de plus en plus nettement vers le « service du Seigneur », en tant que pasteur protestant évangélique francophone. C’est le temps des débuts de l’implantation, dans l’hexagone, d’Eglises d’expression africaine. Bien des obstacles se présentent, bien des questions se posent, bien des portes se ferment. Mais Faustin Shungu n’est pas de ceux qui renoncent. Damien Mottier rappelle que l’objectif de cette première génération, « contre laquelle s’est en partie construite la nouvelle génération des pasteurs prophètes », était d’« évangéliser les étudiants congolais pour qu’ils soient de bons chrétiens à leur retour au pays », suivant les mots du pasteur Mathieu Kayeye (1). Mais la situation migratoire a changé en profondeur au cours des années 1990. Le schéma diasporique laisse place au « territoire circulatoire » transnational: la présence congolaise en Europe s’ancre durablement, en lien avec le Congo.
Le jeune pasteur s’investit d’abord dans l’Eglise évangélique «Parole vivante» auprès de Mathieu Kayeye, un des pasteurs marqués par le ministère de Maman Ntumba. Lorsque ce dernier part pour le Canada, Faustin Shungu Okitawungu le remplace à la tête de l’Eglise, puis, en 2000, il fonde l’Eglise Eben Ezer, située à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne). Sarah Demart, qui a enquêté de manière approfondie sur ces Eglises, nous apprend qu’Eben-Ezer compte au départ « entre 200 et 300 membres d’origine majoritairement congolaise, mais aussi angolaise, gabonaise, camerounaise, ivoirienne, martiniquaise et guadeloupéenne » (2). Une assemblée aux multiples apports nationaux, propice à l’interculturalité. Faustin Shungu continue par ailleurs à se « former pour le Seigneur », en particulier en psychologie et en théologie, à la Faculté Libre de Théologie de Vaux sur Seine. Il porte une attention particulière à la formation des pasteurs congolais.
Devenu responsable de la commission des ministères pour les Eglises de la CEAF, il conduit, en parallèle, la Pastorale Congolaise francophone, qui se constitue à la fin de la décennie 1990, suite à une Conférence européenne des pasteurs congolais. L’objectif était de coordonner, former, et fluidifier les rapports entre pasteurs, afin de consolider un réseau d’Eglises évangéliques d’expression africaine tournées vers l’accueil et l’évangélisation. Il poursuit en parallèle son ministère pastoral à Choisy-le-Roi, défendant une vision d’Eglise comme « plus qu’un lieu de fréquentation, un lieu de transformation ». En 2013, son assemblée évangélique se dote d’une chaîne vidéo YouTube, E4tv. Elle rendra de précieux services lors de la pandémie de la Covid 19, qui compromet les rencontres « en présentiel ». En 2020, il publie l’ouvrage Quand on court après les questions. Son décès, le 20 mars 2021, plus de trente ans après la création de la CEAF, laisse une Eglise Eben-Ezer en deuil. Il est aussi l’occasion de marquer l’étendue du chemin parcouru, au service d’une évangélisation postcoloniale et francophone sous le sceau du réveil et de la formation.
(1) Lire Damien Mottier, « Prophétisme et pentecôtisme africains en migration », Cahiers d’Etudes Africaines, 2017, p.973-992.
(2) Sarah Demart, Les territoires de la délivrance, thèse de doctorat Université de Toulouse / Louvain La Neuve, 2010, p.381.