Une recension du livre du pasteur Roger Riol, figure très respectée du protestantisme évangélique martiniquais.
Le pasteur Roger Riol (1937-2019), fondateur de Radio Evangile Martinique, a tiré sa révérence l’année passée, le 2 novembre 2019, non sans laisser une marque durable. Publié en 2016, le livre Chroniques évangéliques (224 pages) n’est pas le moindre des héritages qu’il laisse à la francophonie protestante.
Édité avec grand soin, enrichi en annexe de sources et documents, ce livre de référence documente avec précision la naissance et la diversification progressive du protestantisme évangélique en Martinique, depuis son démarrage à Saint Pierre (1890) jusqu’à l’année 2000.
Dans le « Livre Premier » (p.5 à 92), Roger Riol couvre la période de 1890 à 1960, celle de l’ »ancrage et développement de l’évangélisme en Martinique ». Quelques années avant le désastre de l’éruption de la Montagne pelée, le 8 mai 1902, une missionnaire britannique, Mary Jameson, bientôt mariée au pasteur canadien M. H. Poirier, entreprend l’évangélisation de Saint-Pierre. Emancipé de l’esclavage depuis 1848, le peuple martiniquais ne disposait pas, alors, d’autre option religieuse que le catholicisme importé par les colons. Les premiers convertis, dont Louis-Ferdinand Fataccy (1863-1933), très actif à Fort-de-France, s’impliquent dans l’évangélisation. Les débuts sont difficiles. Un petit réseau se constitue, matrice de ce qui deviendra la Mission Chrétienne Evangélique de Martinique (déclarée officiellement en 1946). Alors que les adventistes commencent à leur tour à s’implanter dans l’île, une église locale évangélique dotée d’un conseil d’anciens se constitue sous la houlette de Nazaire Fataccy. Une salle est ouverte en 1936, puis une seconde à Gros-Morne, une troisième au Morne-Rouge (1943), une quatrième à Terres Sainville (1952). D’autres suivent. L’évangélisation progresse, les baptêmes par immersion se succèdent. Roger Riol nous livre des précisions statistiques : du 30 mai 1937 au 28 octobre 1956, 439 Martiniquaises et Martiniquais sont baptisés. La Mission Chrétienne Evangélique en Martinique commence à tisser un premier maillage d’églises locales. Conclusion proposée par l’auteur : « Le mépris à l’égard des évangéliques s’estompe pour faire place à la reconnaissance de la MCEM par le peuple mais aussi par les autorités » (p.55). Roger Riol souligne aussi le processus de diversification qui s’opère. Les baptistes s’implantent à leur tour, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale (1946), sur une impulsion américaine. Une première Eglise locale baptiste est fondée à Fort-de-France en 1953, avec une cinquantaine de membres. L’essor est rapide. Se projetant au-delà des années 1960, l’auteur rapporte la création, en 2001, d’une Association des Eglises Baptistes de la Martinique, dont le siège se situe au 17, rue du Petit Florentin Plateau Fofo à Schoelcher, dans une Eglise fondée par le martiniquais Paul Moulin. Dix pages sont consacrées au pasteur baptiste Edmond Itty (1915-1998), originaire de Munster (Haut-Rhin, Alsace), qui exerce un ministère très influent en Martinique durant 44 ans.
Le « livre Deuxième » (p.93-154) est intitulé « Période d’expansion et de consolidation de l’évangélisme en Martinique ». Il couvre la période 1960-80 et traite en particulier de la diversification de l’offre évangélique sur l’île, sans négliger de rappeler la situation économique et sociale martiniquaise, avec notamment les effets de l’évolution vers le statut de département (depuis la loi de la départementalisation de 1946). Dans un contexte de développement des infrastructures (routières, en particulier), le réseau évangélique se densifie, et les stratégies d’évangélisation se font plus ambitieuses. Des spécialistes de l’annonce du salut chrétien comme Alain Choiquier, Fernand Legrand, Brian Trafford ou Maurice Decker sillonnent l’île régulièrement. Et les baptêmes du converti suivent : 1613 Martiniquaises et Martiniquais sont baptisés entre 1960 et 1980 (p.109). Un des faits marquants de la période est aussi l’arrivée du pentecôtisme, tardivement implanté en Martinique à partir de 1967. Une librairie évangélique s’implante par ailleurs à Fort-de-France, s’ouvrant au public à partir du 10 février 1973. Le lien entre évangéliques de type piétiste (MCEM, baptistes) et évangéliques de type pentecôtiste/charismatique (ADD, Assemblée du Réveil, Assemblée du Plein Evangile) est au départ difficile. Il évolue vers plus de proximité au cours des années 1970, notamment via les mariages entre fidèles d’églises différentes.
Dans le « livre troisième » (période 1980-2000), le pasteur Roger Riol termine son panorama en soulignant le « rapprochement des Eglises évangéliques (p.155-182). La fondation de Radio Evangile Martinique, en 1983, y contribue beaucoup. Fondée par Roger Riol, l’association Radio Evangile Martinique est ensuite présidée par Daniel Reivax (Plein Evangile), Raymond Sormain (Mission Baptiste), George Almont (Mission Chrétienne)…. Les échanges entre réseaux évangéliques se multiplient, coopérations et mutualisation des moyens entrent dans les moeurs. La création des Groupes Bibliques Universitaires en Martinique (1985) en constitue un autre témoignage. La diversification du paysage évangélique martiniquais continue cependant à mettre au défi l’enjeu d’une dynamique commune. De nouvelles étiquettes apparaissent : Eglise de Jésus-Christ, Eglise du Nazaréen, Union Chrétienne… Au terme du survol, Roger Riol conclut à la « fin de la domination de l’Eglise catholique » (p.179). Ce n’est pas tant d’un déclin du catholicisme qu’il s’agit, observe-t-il, que d’un enrichissement du christianisme martiniquais par de nouvelles églises et réseaux, désormais « bien appréciés par le peuple martiniquais » (p.180).