L’église internationale francophone d’Istanbul – à majorité congolaise – vient de perdre son pasteur, Alain Suku.
En matière d’impact démographique mondial sur le protestantisme, la République Démocratique du Congo (RDC) est aujourd’hui bien plus influente que la France. Poumon protestant francophone, le Congo RDC exporte, depuis les années 1970-80, un revivalisme d’un dynamisme multiforme, appuyé sur des prophètes et prophétesses, des enseignants, servantes de l’Eternel, pasteurs et chantres, qui ont su adopter les nouvelles technologies numériques.
Cet élan repose aussi sur des territoires circulatoires. Sarah Demart, dans sa thèse de doctorat consacrée au Réveil congolais (1), décrit un réseau transnational marqué, non pas simplement par le phénomène diasporique (départ définitif vers une nouvelle patrie), mais par une circulation régulière, physique et numérique, entre des espaces distants, mais reliés et homogénéisés par un même univers de références évangéliques et congolaises.
C’est au sein du territoire circulatoire congolais, évangélique et francophone que l’église ministère international francophone « La Charité » (EMIFC), à Istanbul, a connu un développement significatif depuis 2012 sous l’effet du ministère du pasteur congolais Alain Suku (1971-2020), venu du Liban. La Turquie d’Erdogan n’est pourtant pas une terre d’accueil facile pour les prédicateurs évangéliques. Sous le double étau d’un islam politique de plus en plus intolérant, et, à un moindre degré, d’un nationalisme laïque hostile à l’expression religieuse, la présence protestante en Turquie est très précaire. C’est pourtant dans ce contexte bien difficile que le pasteur Alain Suku a élargi l’assise d’une église francophone internationale, au cœur de la capitale turque, Istanbul. Formé par l’organisation Jeunesse pour Christ (JPC) après des études de commerce à Kinshasa, il doit faire face, en 2014, à une tentative de fermeture de son église par les autorités turques locales. A force de négociation et de persévérance, il sauve la situation. L’église EMIFC, basée non loin de la place Taksim (Istanbul), continue sa fragile croissance, dépassant la cinquantaine de pratiquants hebdomadaires. Enseignement prescriptif de la Bible (2) et solidarité locale renforcent l’identité partagée. L’église EMIFC est nourrie principalement par la diaspora congolaise francophone installée à Istanbul, mais accueille aussi d’autres publics, et noue des liens avec quelques (rares) Turcs.
Notamment en relation avec le Congo, mais aussi la France, la Corée du Sud, l’Ethiopie (dont des chantres viennent animer une soirée de nouvel an), le pasteur Alain Suku est un homme de réseau et un bâtisseur. Il prend le titre d’apôtre, met en place une petite école de disciples. En mai 2019, il consacre deux jeunes pasteures éthiopiennes établies à Istanbul, à la demande de la branche locale des Eglises de Réveil éthiopiennes présidées par l’apôtre Zelalem Pause. La Turquie est son champ de semaille. L’année 2020 se révèlera pourtant pleine de ronces et d’épines, avec l’impact de la pandémie de la Covid19, et finalement un décès inattendu, à seulement 48 ans, le 21 novembre 2020. Il laisse son épouse, Aline Wawa, et trois enfants. Le « territoire circulatoire » évangélique congolais est sous le choc. L’église francophone EMIFC d’Istanbul n’avait-elle pas accueilli, le 9 décembre 2018, le premier « synode des hommes de Dieu congolais » en Turquie, sous la houlette de l’évêque Mosengo, président de la pastorale congolaise européenne ? Un témoignage de la reconnaissance dont bénéficie cette église francophone au coeur d’Istanbul, très présente sur les réseaux sociaux (internet).
Les obsèques du pasteur fondateur ont eu lieu en ce début décembre 2020 à Kinshasa, au 80 avenue Kasa-Vubu, dans l’Eglise « Eternel, mon étendard », une communauté issue des Réveils qui ont transformé la géographie religieuse de la capitale (3). La communauté francophone de l’EMIFC à Istanbul fait face à un avenir incertain dans une Turquie de plus en plus autoritaire…. Mais elle peut s’appuyer sur la force d’un réseau d’entraide transnational qui dessine l’un des visages de la francophonie protestante du XXIe siècle.
(1) Sarah Demart, Les territoires de la délivrance – Le Réveil congolais en situation postcoloniale (RDC et diaspora), Karthala, 2017
(2) Cf. cette chaîne YouTube diffusant des cultes de l’église EMIFC : https://www.youtube.com/channel/UCpYCBbAxiLIXe5g-njWFxzQ
3) Robert Pembele-Zi-Nzazi, Kinshasa à l’heure des nouvelles Églises : défis et enjeux socio-religieux, Presses du Midi, Toulon, 2009