Nous sommes les branches d’un même arbre ». Regard sur la francophonie de l’évêque épiscopalien d’Akobo, au Soudan du Sud.
Rencontré le 2 novembre 2019 à Djouba, capitale du Soudan du Sud, l’évêque John Jock partage son expérience pastorale, à la tête d’un diocèse victime chaque année d’inondations. Il offre aussi sa perspective sur la francophonie, « seconde langue de l’Afrique ».
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis l’évêque John Jock, du diocèse de l’Eglise Episcopale du Soudan du Sud (ECS) à Akobo (Jonglei, Soudan du Sud), près de la frontière éthiopienne. Ma formation s’est faite à Khartoum, Malakal, Nairobi. J’ai été ordonné en 1991, après avoir commencé à travailler pour le Seigneur dès 1974. Je suis Sud-soudanais. Je suis très heureux de pouvoir échanger avec un interlocuteur français. Je suis marié, une épouse, sept enfants. Quatre filles, trois garçons. Deux sont déjà mariées, avec un foyer et des enfants. Un de mes fils est à Nairobi à l’Université Américaine Internationale, mais il ne s’y trouve pas en ce moment à cause des difficultés économiques que nous traversons.
Comment les choses se passent-elles dans votre diocèse ?
Mon diocèse est actuellement couvert de boue et inondé dans des proportions difficiles à imaginer. Cela nous arrive tous les ans mais cette année, c’est particulièrement difficile, d’autant plus que nous sommes passés par plusieurs années de guerre civile, de troubles. Les inondations massives ont complètement détruit les récoltes, et réduit à néant les voies de communication. Comment les gens vont faire pour tenir ? En temps normal, mon diocèse est déjà relativement isolé car les routes sont rares et mauvaises. En temps d’inondation, nous sommes coupés du monde. L’insuffisance alimentaire est le plus grave. Mais aussi le développement des maladies liées à l’eau, et qui affectent les enfants dès la naissance. L’aide humanitaire a du mal à arriver. Certains en profitent, et tant mieux, mais beaucoup de monde est laissé sans rien. Or, pour quitter le diocèse, le seul moyen, c’est de payer un billet d’avion à 270 dollars. L’immense majorité de la population ne peut pas imaginer payer une telle somme.
Comment accompagnez-vous vos paroissiens ?
En tant qu’évêque, je souffre avec ma population. Et je parle pour elle dès que je peux. J’ai le cœur très lourd. Je voudrais demander trois choses à nos amis français. D’abord, de penser à nous. Nous sommes loin de tout, mais nous sommes frères. Ensuite, nous apprécions particulièrement les prières. Le Seigneur nous demande d’intercéder, de prier pour la paix. Notre nation a besoin de prières. Enfin, nous apprécions toute aide concrète qui peut nous être apportée. En particulier du matériel de pêche. En ce moment, la seule chose à manger après les inondations, c’est le poisson ! Mais nous ne sommes pas très bien équipés pour le pêcher. De nombreuses familles, qui d’habitude se nourrissent autrement, n’ont pas de matériel de pêche. Nous aurions besoin aussi de moyens techniques pour secourir le bétail. De nombreux troupeaux ont été anéantis, mais des animaux peuvent être récupérés. Enfin, l’isolement peut être combattu par une aide en équipement de V-SAT (communication satellitaire). A mes yeux, que les chrétiens soient catholiques, évangéliques, anglicans, protestants, cela ne fait pas de différence. Nous sommes toutes les branches d’un même arbre. Où circule la vie.
Quelle est votre perception de la situation actuelle au Soudan du Sud ?
La population sud-soudanaise a voté massivement, avec enthousiasme, pour l’indépendance. Cela fut un raz de marée (99,98%). Nous faisons face aux difficultés d’un pays jeune. Il a malheureusement fallu passer par une guerre civile, que nous espérons maintenant terminée. Les habitants se sont tournés les uns contre les autres. Mais la paix est la solution, et elle ne se fait pas en un jour, c’est un processus. J’aime ce verset des Béatitudes : « Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu ».
Quel regard portez-vous sur la francophonie ?
Elle est très présente en Afrique, c’est la langue n°2, derrière l’anglais et devant l’arabe, mais pas dans notre pays. Mais des jeunes sud-soudanais veulent apprendre le français. Ils se rendent compte que c’est utile. C’est une excellente chose. Pour ma part je n’ai pas eu l’occasion d’apprendre le français, mais j’aimerais beaucoup. D’autant plus que j’ai déjà voyagé dans un pays francophone, le Rwanda, où j’ai visité à Kigali le musée du génocide, expliqué en langue française. Plus d’échanges avec la France est quelque chose que nous espérons. Je connais aussi Médecins sans frontières (MSF), ils sont vraiment partout sur le terrain, c’est une ONG décisive, qui va là où personne d’autre n’ose aller.