Installé avec sa famille à Antananarivo, Timothée Minard partage avec enthousiasme son expérience d’enseignant en théologie.
L’essor et les recompositions du protestantisme à Madagascar reposent à nouveaux frais l’enjeu de la formation, dans la perspective plus large des circulations francophones.
Timothée Minard, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis un « vahaza » (étranger blanc) à Madagascar. Français de 38 ans, marié et papa de 2 enfants, je suis aussi enseignant en théologie, spécialisé dans l’étude du Nouveau Testament. Mon épouse et moi avons été pasteurs en France au sein de la Fédération Baptiste pendant 9 ans. En août 2018, nous avons déménagé en famille à Madagascar. J’ai été envoyé pour contribuer au développement de la formation théologique au sein des églises évangéliques malgaches. J’enseigne principalement au sein de l’Institut Supérieur de Théologie Évangélique (ISTE) à Tananarive.
Pour quelles raisons avez-vous choisi de vous établir à long terme à Madagascar ?
Que ce soit pour mon épouse ou pour moi-même, la mission fait battre notre cœur depuis le tout début de notre cheminement spirituel. En 2009, nous avons eu un temps de réflexion sur notre ministère. La conviction est venue que je devais m’orienter davantage vers l’enseignement biblique et théologique. C’est alors que j’ai repris les études de théologie en parallèle du ministère pastoral afin de réaliser un doctorat.
En 2011, nous avons eu l’opportunité de nous rendre pour la première fois à Madagascar en famille. L’objectif était de dispenser des cours groupés à l’ISTE sur une période de 3 semaines. Nous avons fait un séjour similaire en 2013 et 2015. Au fil de ces séjours, nous avons pris conscience des besoins en matière de formation théologique au sein des églises évangéliques de la « Grande île ». Comme dans beaucoup de pays du monde, les églises évangéliques sont en pleine croissance à Madagascar. Cette croissance a besoin d’être enracinée dans un enseignement biblique et théologique solide.
Face à ces besoins, la direction malgache de l’ISTE nous a fait comprendre qu’une aide le temps d’une mission à long terme serait la bienvenue.
En considérant cette demande, ces besoins, notre cheminement et nos compétences, nous avons ressenti la confirmation d’un appel de Dieu. Nous avons donc pris la décision de faire le pas et de déménager à Tananarive.
De votre regard de théologien, quel regard portez-vous sur le rapport des protestants malgaches à la Bible et au rôle du Saint-Esprit ?
La formation biblique et théologique fait partie de la « culture » du protestantisme historique malgache. En 2018, lorsque les églises ont commémoré les 200 ans de l’arrivée des premiers missionnaires protestants (en 1818), elles ont choisi de présenter ces célébrations comme le bicentenaire de « l’arrivée de la Bible à Madagascar ». Le défi pour ces églises est que la Bible ne devienne pas un objet uniquement culturel et historique, mais qu’elle reste la parole vivante de Dieu.
Dès 1895, différents mouvements de réveil (fifohazana) ont contribué à valoriser la « vie de l’Esprit » au sein des églises protestantes malgaches. Depuis une cinquantaine d’années, ces mouvements sont reconnus et plutôt bien intégrés au sein des églises protestantes historiques (FJKM et Luthériennes).
Les églises évangéliques se sont essentiellement développées à Madagascar depuis l’indépendance (1960). Si ces églises trouvent sans aucun doute certaines racines dans les grandes églises protestantes historiques du pays, elles ont souvent construit leur identité par opposition avec ces dernières. Ainsi, un évangélique malgache ne se désignera généralement pas comme un « protestant ». Il me semble que cela peut expliquer le peu d’intérêt des évangéliques pour la théologie, trop associée aux églises protestantes historiques.
Par contre, la Bible et sa prédication gardent généralement une place centrale au sein de la pratique des églises évangéliques. Toutefois, au sein de certains mouvements néo-pentecôtistes, son interprétation est parfois plus une affaire de « révélation par le Saint-Esprit » que d’étude sérieuse du texte. J’aime à rappeler que l’apôtre Paul encourage les chrétiens à vivre la vie de l’Esprit en mettant en œuvre leur « intelligence » (voir 1 Corinthiens 14 par exemple).
Vous êtes enseignant à l’ISTE. Quelles sont les attentes de vos étudiants? Quel est leur profil?
Il est difficile d’établir un « profil-type » des étudiants de l’ISTE : c’est plutôt la diversité qui les caractérise ! Certes, l’ISTE est un établissement de niveau universitaire (post-bac). Il accueille donc une certaine « élite » intellectuelle (seuls 3 à 5 % des jeunes font des études supérieures à Madagascar). Toutefois, les étudiants sont des femmes et des hommes de tous âges, de tous milieux socio-économiques et d’arrière-plan ecclésial varié. Les attentes sont donc diverses. Certains jeunes viennent se former en vue d’un ministère spécifique (pastorat, enseignement, traduction de la Bible…). D’autres veulent approfondir leur foi et leur connaissance de la Bible, sans avoir forcément en tête un ministère particulier. Nous avons aussi parmi les étudiants des pasteurs expérimentés qui, après parfois 20 ou 30 ans de ministère, viennent compléter leur formation.
A partir de votre expérience à Antananarivo, comment voyez-vous l’articulation entre francophonie et protestantisme malgachophone?
Le malgache est de loin la principale langue parlée à Madagascar. Mais le français reste une deuxième langue officielle utilisée dans l’administration, à l’université et même dans certains média. Cet environnement en partie francophone se perçoit dans notre vécu ici.
Dans la pratique des églises, c’est la langue du peuple qui est utilisée : on chante en malgache, on prie en malgache et on prêche en malgache. Toutefois, la francophonie protestante conserve une influence non négligeable à Madagascar. Il n’est pas rare d’entendre des chants de louange en français au milieu d’un culte en malgache ou à la radio. La littérature et l’Internet francophones sont également bien consultés. De plus, l’importante diaspora malgache en France exerce une certaine influence sur les églises de Madagascar.
À Tananarive, on compte quelques églises francophones représentatives des grands courants du protestantisme (luthéro-réformés, évangéliques piétistes, pentecôtistes…). Ces églises sont principalement fréquentées par des malgaches, avec une sur-représentation des classes sociales supérieures. Il n’est pas rare d’y croiser des femmes ou hommes d’état, des chefs de grosses entreprises ou autres personnalités influentes. À Madagascar, la « HSP (Haute-Société Protestante) » est souvent francophone!