Second volet du portrait de Maman Ntumba, l’une des principales figures des nouvelles Eglises de Réveil en RDC.
De sa naissance en 1950 dans le Kasaï-Occidental jusqu’à la mise en place de l’AIFA, Association Internationale pour la Foi en Action (1982), l’évangéliste, prophétesse et apôtre congolaise Nahum Ntumba Shaumba Angélique, dite « Maman Ntumba » s’est affirmée comme une figure phare des nouvelles Eglises de Réveil en RDC. Initiées par le pasteur Aidini à partir de la fin des années 1950, suite à la prédication de TL. Osborn au Congo, ces Eglises de type évangélique, charismatique et prophétique ont profondément redessiné la carte des christianismes en Afrique occidentale et centrale; mais leur influence va bien au-delà.
Le déploiement international du ministère de Maman Ntumba en est une illustration. A partir de 1983, elle étend l’oeuvre de l’AIFA non seulement en Afrique, mais aussi en Europe. Après un voyage missionnaire au Malawi (1983) en suivant, dit-elle, « une vision reçue du Seigneur », elle se tourne vers l’Europe. Elle se rend en France, en Belgique et en Allemagne e 1985, exhortant les diasporas congolaises à « se tourner vers le Seigneur ». Son autorité charismatique fait mouche. Plusieurs vocations pastorales sont alors initiées, ou légitimées, par Maman Ntumba. En lingala (surtout) et en français, elle exhorte, évangélise, prophétise, annonce le Réveil. A Paris, l’Eglise naissante de l’Alliance Chrétienne, conduite par Mathieu Kayeye, recourt à son ministère. « Elle a moissonné beaucoup d’âmes », rapporte Mathieu Kayeye au sujet de Maman Ntumba, qui est aussi sa belle-soeur[1]. Les protestants évangéliques africains implantés en Europe ne sont pas encore structurés en réseau bien identifiable. Maman Ntumba catalyse leur mobilisation et contribue à la mise en place progressive d’un tissu d’Eglises d’expression congolaise centrées sur l’évangélisation et le combat spirituel. Controversée, d’un caractère entier, elle dérange, bouge les lignes. Mais on la respecte, sa réputation de femme de prière, médiatrice des miracles du Saint-Esprit, s’est répandue. Et nombreux sont les pasteurs congolais implantés en Europe, tel Faustin Shungu, qui lui doivent tantôt une impulsion charismatique, tantôt une légitimité ancrée dans la filiation d’un Réveil congolais dont elle se fait l’ambassadrice.
Elle n’est pas directement à l’origine de la CEZAF, Communauté des Eglises Zaïroises de France. La CEZAF est le fruit d’un processus de création complexe. Son année de création fait débat. Sara Demart mentionne 1988, se référant sans doute à un début de mise en route officieuse. Damien Mottier évoque la période 1989-90, en tension entre deux projets concurrents. Quant à la CEZAF elle-même, devenue plus tard la CEAF (Communauté d’Eglises d’Expression Africaine de France), elle mentionne 1990 comme année de naissance, date à retenir pour l’officialisation. Maman Ntumba n’intervient pas explicitement dans cette première mise en réseau, mais plusieurs pasteurs ont été marqués par son enseignement, et l’Eglise AIFA-Parole Vivante de Mathieu Kayeye, très proche de Maman Ntumba, constitue l’une des trois communautés fondatrices.
Francophonie évangélique et prophétique africaine
Maman Ntumba va, par la suite, concentrer l’essentiel de l’activité missionnaire de l’AIFA au Congo RDC, prophétisant et prêchant un Evangile de miracles et de guérisons. Plusieurs ministères de Réveil, comme celui de Maman Olangi, sont issus de son influent rayonnement au Congo. Mais elle n’abandonne pas les voyages, qui la conduisent tantôt en France ou en Belgique, où elle contribue à l’essor de la megachurch francophone La Nouvelle Jérusalem à Bruxelles conduite par Martin Mutyebele[2]. En Côte d’Ivoire, elle rencontre les époux Gbagbo. Elle se déplace aussi au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, où elle rend visite à T.L. Osborn et son épouse à Tulsa, en 1990. Figure en vue des réseaux transnationaux du Réveil congolais, elle continue, dans les années 2000, à nourrir la structuration d’une francophonie évangélique et prophétique africaine, mais son influence n’est plus la même. Le temps des fondations est désormais révolu.
Le paysage de la francophonie protestante d’expression africaine s’est beaucoup enrichi, et diversifié, porté par maintes figures de prophètes, apôtres, pasteurs et entrepreneurs d’évangélisation. La relève est là, nombreuse. Le prestige de Maman Ntumba demeure cependant important au Congo, où Franck Cana lui consacre une biographie intitulé Angélique Ntumba Shaumba, apôtre d’une génération victorieuse[3]. Et elle continue à parcourir les territoires circulatoires de l’évangélisme congolais entre Congo et Europe francophone.
Mi janvier 2016, à la mort de la chanteuse congolaise Marie Misamu (1974-2016), elle signe un dernier coup d’éclat en proposant ses bons offices afin d’effectuer une prière de résurrection. L’initiative, fortement relayée par les médias congolais, n’aboutit pas. Un peu plus d’un an plus tard, elle s’éteint, à l’âge de 67 ans, sur le territoire français, à Rennes. Après son décès, survenu le 26 juillet 2017 dans l’indifférence des médias européens, elle est inhumée en terre natale, au Congo. Le site internet de l’AIFA précise qu’on lui décerne alors le titre de « grand cordon de l’Evangile », tandis qu’une foule compacte commémore une dernière fois cette « Maman » du Réveil congolais, qui n’a cessé de prêcher que «le temps des miracles n’est pas fini».
[1] Cité dans Damien Mottier, « Sociogenèse des Églises pentecôtistes africaines en France », Social Compass, 2014, vol 61, p.76.
[2] Sara Demart, Les territoires de la délivrance, Mises en perspective historiques plurilocalisées du Réveil congolais, thèse de doctorat, 2010, p.593.
[3] L’ouvrage a aussi été publié sous le titre Franck Cana, Dieu est bon, biographie d’Angélique Ntumba Shaumba, LC éditions, 2015.