Le pasteur Gilbert Suku nous a accordé deux entretiens. Dans ce premier volet, il nous livre son regard sur la Corée du Sud.
La francophonie protestante aujourd’hui ne se tisse pas seulement dans des relations Nord-Sud, ou des liens transatlantiques. La preuve avec ces relations étroites tissées depuis 2001 entre une Église picarde de la CEAF (Communion d’Églises d’Expression Africaine) et la Corée du Sud (Églises remnant). Témoignage du pasteur Gilbert Suku.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Gilbert Suku, c’est mon nom de baptême. Ma famille était catholique. Quand sur décision politique du pays, sous Mobutu, on a changé de prénom, j’ai pris pour nom Molimo Mangando Suku. Après, j’ai repris le prénom Gilbert. Je suis né à Kinshasa, au Congo RDC, c’est là que j’ai grandi. A l’époque, il n’y avait pas d’émigration vers l’Europe comme aujourd’hui. Je suis né d’une famille de 10 enfants, 5 filles 5 garçons. Dans ma famille élargie, il y a des prêtres, des évêques, et un cardinal, le cardinal Frédéric Etshou. J’ai quitté Kinshasa et je suis arrivé en France en octobre 1975, à l’âge de 29 ans, pour mes études. Et c’est en 1984 que j’ai vraiment rencontré Christ, réorganisé mes priorités. Changé ma manière de vivre. J’ai alors rejoint ce que l’on peut appeler les Eglises évangéliques de réveil. J’habitais Sarcelles. Ma belle-sœur était malade, on m’a dit qu’un pasteur évangélique venu du Congo pouvait prier pour elle. Nous sommes allés assister à la réunion, et c’est là que j’ai écouté le message évangélique. Cela m’a touché. Deux semaines après, j’ai ressenti que je devais “me laisser trouver par celui qui me cherche”. Je ne savais pas que c’était un verset biblique. En ce temps là, dans l’Eglise catholique, on le lisait guère la Bible. Le missel était lu par le prêtre, c’est tout. Moi, j’avais le désir de chercher Dieu. Avec ma famille, on allait à la paroisse catholique Jean XXIII à Sarcelles, par habitude. Puis je suis allé chez un cousin, prêtre, j’ai demandé la Bible. J’ai cherché Dieu à la maison. Puis j’ai fréquenté une Eglise évangélique. Je me suis ensuite formé pour devenir pasteur. Je suis allé à l’école du pasteur Selvaraj Rajiah, “Parole de Foi et évangélisation mondiale” (La Courneuve), puis à l’institut biblique de Nogent-sur-Marne, et enfin, avec d’autres pasteurs de la CEAF, à la Faculté Évangélique de Vaux-sur-Seine.
De quand date votre découverte des Eglises de la Corée du Sud ?
L’Église “La Grâce de l’Eternel”, dont je suis pasteur, est basée à Nogent-sur-Oise. Elle entretient des échanges très réguliers avec la Corée du Sud. Pas plus tard que cet été 2018, nous sommes retournés à Séoul et dans plusieurs villes sud-coréennes avec une délégation de l’Église, pour un congrès et des formations. Ces relations datent de 2001. Elles s’expliquent au départ par des contacts individuels. Une dame de notre assemblée, Mama Rita, avait une amie sud-coréenne à Lamorlaye, qui était aussi missionnaire évangélique, avec une base à Hong Kong. Elle l’a invitée dans notre Eglise locale, qui avait démarré quelques années plus tôt (1996). Cette sœur sud-coréenne a beaucoup apprécié notre Église, et notre accent sur l’évangélisation. Elle nous a dit : “ah, quand les Coréens viendront, les missionnaires, je les inviterai ici”. Des contacts se sont tissés, autour d’une même vision de l’évangélisation. L’annonce de Jésus, le Christ, en France. Puis j’ai effectué un premier voyage en Corée en 2002 à l’invitation de nos nouveaux amis coréens. Tout est parti de là.
Quel souvenir conservez-vous de votre premier voyage en Corée du Sud ?
J’avais déjà entendu parler des chrétiens de Corée du Sud. Je connaissais notamment l’œuvre de Paul Yonggi Sho, fondateur d’une megachurch à Séoul. Lors de mon premier voyage, l’objectif était de venir voir comment nos frères et sœurs de Corée du Sud servent notre Seigneur notre Dieu. J’ai trouvé des gens qui étaient vraiment engagés, plus engagés que nous en France. Très motivés par l’évangélisation. C’est la première chose qu’ils m’ont dit : l’évangélisation ! La dernière et la plus importante mission que Jésus a donné à ses disciples. Ils tiennent vraiment compte de cela. Nos frères et sœurs sud-coréens donnent d’abord une formation. Ils l’organisent comme un parcours, qui décrit le problème fondamental, le péché, la séparation d’avec Dieu, pour arriver à l’Évangile correct, le salut par grâce en Jésus, le Christ. Ils insistent beaucoup sur l’enjeu spirituel qui se pose. L’importance de présenter Jésus, le Christ, à ceux qui sont loin de Dieu.
A côté de cette formation, j’ai aussi pu découvrir la Corée du Sud, rencontrer les habitants. Lors de mon premier voyage, en traversant villes et villages, j’ai rencontré des gens qui n’avaient jamais vu un noir. Vraiment, ils étaient étonnés. Parfois, des enfants venaient vers moi pour me toucher et frotter la peau. Les mamans essayaient de les empêcher… Moi, cela ne m’a pas beaucoup troublé. En effet, j’avais le souvenir, étant enfant à Kinshasa, de la réaction de certains à la venue des missionnaires blancs. Certains Kinois, dans les années 1950, n’avaient jamais vu de blanc en chair et en os non plus. Du coup, j’ai relativisé ces réactions en Corée à mon égard, car cela me rappelait ce que j’avais vu à Kinshasa bien avant. J’étais averti. Je laissais faire, il fallait qu’ils découvrent. Le voyage missionnaire, c’est un sacrifice. Les missionnaires qui sont venus au Congo par le passé, ils ont quitté leur confort, ont affronté la mouche tsé-tsé. Ils sont venus pour l’Évangile. J’avais cet exemple en moi en allant en Corée du Sud la première fois. Cela m’a beaucoup aidé. Et je puis dire aussi que les Sud-Coréens sont très accueillants. Une chose qui m’a beaucoup frappé, c’est que lorsqu’on te salue, on te demande tout de suite : “ça va, as-tu mangé ?” C’est la première question que l’on pose, et on te la pose partout. Les Sud-Coréens veulent toujours te servir à manger. J’ai demandé à mon interprète pourquoi on me posait tout le temps cette question. Il m’a répondu : “nous avons connu la guerre, il y a eu beaucoup de morts, à cause de la faim. Quand le Réveil a commencé, la première priorité, à partir du moment où l’Évangile était annoncé, c’était que les gens ne meurent plus de faim”. Même si l’on a déjà mangé, on vous propose un bol de riz et quelques fruits !
La barrière de la langue n’était pas trop difficile ?
Non, grâce aux service d’interprètes qui maîtrisent les deux langues, le français et le coréen. Et à des documents multilingues. La communication s’est bien passée. Une chose m’a frappée, c’est que nous chantons les mêmes chants. Cela m’a mis à l’aise ! Ils chantent ces hymnes en coréen, et moi en français, mais ce sont les mêmes cantiques ! Les Sud-Coréens étaient étonnés aussi. Nous nous sommes aperçus que les chants de Réveil sont universels. Nous étions dans la joie de réaliser cela.
Quelles sont les principales différences entre ce que vous avez vu en Corée du Sud et votre expérience de terrain en France ?
Quand nous avons commencé en France, dans les années 1980, il n’y avait pas d’Eglises de Réveil comme aujourd’hui[1] (2018). Il y avait surtout des Églises traditionnelles. Catholique, réformée, méthodiste…. Pas d’évangélisation ! Et quand j’ai quitté l’Église catholique, et que je suis allé dans une paroisse protestante, il n’y avait pas d’Africain. Tu rentres comme ça, tu es le seul… On te regarde d’un air étonné : “qu’est-ce qu’il vient faire ici celui-là ?” Tu n’es pas accepté.
Ces éléments nous ont conduit à créer des Églises de Réveil communautaires. Des pasteurs sont venus petit à petit, des pasteurs congolais. On a commencé avec deux Églises, une à la porte de Paris, une autre à Sarcelles. Et on a évangélisé. Beaucoup. On a visité les gens. Pour moi, c’était un feu, je voulais parler de Jésus. À tous mes amis catholiques, j’allais parler de Jésus, j’allais avec la Bible. En France, cela bouscule les habitudes. En Corée du Sud, c’est plus facile. Quand nous sommes allés évangéliser en Corée, on peut aborder les gens facilement, bien que je ne parle pas coréen. Nos frères et sœurs coréens ont réalisé un prospectus très bien fait, plurilingue. Illustré. Pour évangéliser, présenter le plan du salut. Les Sud-Coréens sont intéressés par les questions spirituelles. Ils sont 20 millions de chrétiens “nés de nouveau”, ils ont découvert l’Evangile bien après nous (en France), et nous ont dépassés ! Leur culture bouddhiste a fait que lorsqu’ils viennent au Seigneur, ils sont vraiment “carrés”. Ils prient beaucoup. Ils prient même au travail. L’Etat sud-coréen est vraiment ouvert, on peut avoir facilement dans l’usine un lieu de culte. En France, c’est bien plus compliqué… En Corée du Sud, on n’hésite pas à parcourir des distances importantes, ou à raccourcir son temps de repas, si c’est pour écouter un message chrétien. Les gens sont pressés de manger, ils déjeunent vite pour avoir le temps d’écouter une exhortation évangélique, puis ils retournent au travail.
[1] Sur l’essor des nouvelles Eglises issues de la francophonie africaine, voir Majagira Bulangalire, Religion et intégration à la société française dans la période actuelle : le cas des Négro-Africains en Région Parisienne et des protestantismes, thèse de doctorat, Université de Paris IV (Sciences des Religions), 1991, et Damien Mottier, Une ethnographie des pentecôtismes africains en France, Paris, ed. Academia, 2014.