Pasteur et hymnologue, spécialiste de la liturgie de Bersier, Stuart Ludbrook étudie l’histoire des cantiques et des chants chrétiens dans la francophonie protestante. Il nous en dit plus.
Stuart Ludbrook, pouvez-vous vous présenter ?
Pasteur baptiste de nationalité anglaise, francophone, marié, je suis devenu français en 1989. J’ai servi plusieurs paroisses baptistes en Île-de-France et soutenu une thèse de doctorat en sciences des religions à la Sorbonne[1]. Intervenant à la radio Fréquence Protestante, je travaille depuis 20 ans à plein temps comme aumônier protestant des hôpitaux.
Votre thèse de doctorat a porté sur la Liturgie de Bersier, marqué par des attaches suisses. Quel sens le pasteur Eugène Bersier avait-il de la francophonie ?
Le pasteur Eugène Bersier (1831-1889), né à Morges en Suisse, a fondé la paroisse de l’Étoile à Paris. Descendant de Huguenots, il se passionnait pour l’histoire protestante. Son discours sur la Révocation, réimprimé en 1985, et son engagement en faveur du monument Coligny (devant l’Oratoire du Louvre) témoignent de la solidarité qu’il porte à la cause huguenote, en France et hors de France. Il a été sensible à l’essor industriel du refuge protestant. Chroniqueur au Journal de Genève, il a laissé des articles sur la Belgique et l’Algérie. Il a également soutenu la mission protestante au Sénégal. Sa belle plume, son talent oratoire de prédicateur et de conférencier ainsi que ses études sur Victor Hugo et Sainte-Beuve soulignent son attachement au rayonnement international de la langue de Molière : Eugène Bersier avait une conscience francophone, avant que ce mot ne devienne à la mode.
Vous préparez la publication d’un ouvrage sur l’histoire du chant protestant en langue française de 1705 à 2005. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ce projet me tient à cœur depuis vingt ans. Je souhaite encourager le goût de chanter, en assemblée, textes et musiques de valeur. Chanter avec intelligence suppose de connaître les chants à disposition. Revaloriser le chant protestant au culte implique des choix informés et une préparation constante. Se pencher sur les principaux « cantiques » en français depuis Bénédict Pictet[2] jusqu’au recueil Alléluia (2005) permet de dénicher des trésors. Je me suis enrichi par la diversité, à la fois poétique et musicale, des expressions de foi. La mémoire est sélective, on chante ce qu’on connaît et surtout ce qu’on aime. Il est temps d’élargir notre répertoire et d’approfondir à nouveau notre expérience du chant. Vous aurez de la matière : des poèmes pour la fin de vie, des chants adaptés aux saisons de l’existence, aux fêtes comme aux deuils, qui procurent recueillement, espérance et encouragement.
Par rapport à la production liturgique anglophone, quelles seraient les principales spécificités de l’hymnologie francophone ?
Les réformés de langue française continuent à poser en tête du recueil les paraphrases du Psautier genevois. Les recueils protestants officiels du XXe siècle accordent une place que je trouve excessive à des répons pour le culte, aux dépens de chants d’engagement et de mission. Un hymne en anglais peut se chanter sur plusieurs mélodies tandis qu’une musique de psaume ou de choral s’accompagne de divers cantiques en français. Les poètes francophones livrent des chants souvent intimistes, parfois didactiques et volontiers denses sur le plan théologique. La forme demeure classique. La poésie est soutenue, et la prosodie exigeante. Les joyaux luthériens ou du Réveil genevois côtoient des productions plus banales. La créativité textuelle a souvent pâti en raison d’une certaine médiocrité musicale. Le français permet d’exprimer sa louange et ses prières avec précision et d’une manière concise.
Quels sont les principaux foyers créateurs de l’hymnologie francophone depuis 1945, et pourquoi ?
Les milieux œcuméniques ont rassemblé des chants de partout en offrant un revêtement francophone et/ou français. Cela vaut pour des chorals, des negro-spirituals comme pour des chants africains.
Le protestantisme luthérien ou réformé dispose d’un très riche patrimoine musical, mais a parfois eu tendance à céder à la facilité en se contentant de puiser dans les vieux répertoires. Mais on traduit désormais de nouveau Luther ou Gerhardt… Et depuis quelques années, on observe des signes de renouveau dans la créativité.
La mouvance évangélique manquait de poètes et les textes restaient très conventionnels, même si la musique était plus variée. Là aussi je constate des progrès depuis quelques années dans le sens d’une plus grande ambition.
Les mouvements de mission et de jeunesse sont des foyers d’impulsion de nouveaux répertoires. Le souci de toucher les populations du XXIe siècle, d’intéresser au-delà des pratiquants traditionnels y est pour beaucoup.
La collaboration croissante entre les diverses tendances du protestantisme dans le domaine musical est un gage de qualité et d’espérance pour l’avenir, en musique.
[1] Elle a été publiée: Stuart Ludbrook, La liturgie de Bersier et le culte réformé en France : “ritualisme” et renouveau liturgique, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2001.
[2] Théologien calviniste genevois, Benerict Pictet (1655-1724) a été un grand soutien des Huguenots. Il a composé plusieurs hymnes.