Son mouvement de femmes a permis, en 2005, la transition démocratique qui a propulsé au pouvoir Ellen Johnson Sirleaf, la première femme élue à la tête du Libéria.
Portrait n°9 de notre série de l’été : chaque semaine, des portraits de femmes africaines qui ont marqué leur pays. Douze « amazones du Seigneur ».
De 1999 à 2003, beaucoup d’observateurs ont désespéré du Libéria. Né du peuplement d’esclaves affranchis, ce pays côtier d’Afrique de l’Ouest souffrait alors d’une nouvelle guerre civile atroce après celle de 1989-97. Massacres de masse, enfants soldats, anarchie et prolifération d’armes de guerre… Terrifiant paysage. Leymah Gbowee, elle, n’a jamais perdu l’espoir.
Cette protestante anglophone qui connaît bien la francophonie a mobilisé, par son charisme, son énergie, sa foi et son talent, un large réseau, Women of Liberia Mass Action For Peace. Littéralement : « Action de masse des Femmes du Libéria pour la paix ». A force de rencontres sur le terrain, de mise en confiance et de pédagogie, elle a pu finalement rencontrer le dictateur sanguinaire Charles Taylor, obtenant de lui une démarche de conciliation et de paix dans le Ghana voisin. Face aux résistances des factions armées, elle a multiplié les mobilisations non-violentes, sur le mode de la résistance pacifique du mouvement des Droits Civiques aux Etats-Unis, initié par le pasteur Martin Luther King. Des femmes, des mères, des épouses, sans arme, criant leur désespoir et leur désir de paix, quel meilleur moyen d’ouvrir une brèche dans les blindages endurcis qui déshumanisent ? Leymah Gbowee a été la figure de proue du mouvement, payant de sa personne, risquant sa vie, osant jusqu’à promouvoir durant plusieurs mois une « grève du sexe », qui eut peu d’effets immédiats, mais attira l’attention des médias. Jusqu’à l’obtention de la paix tant désirée, suivie du départ du dictateur en place, Charles Taylor. Le « mouvement des femmes en blanc » initié par Leymah Gbowee témoigne alors de quatre particularités : il est porté par une espérance religieuse de réconciliation, nourri par la foi chrétienne de sa promotrice; il refuse tout sectarisme, intégrant très largement les musulmanes et musulmans ; il est grass-root, c’est-à-dire populaire et porté par les communautés locales ; il est complètement non-violent, suivant la filiation d’un Gandhi et d’un Martin Luther King.
Résistance, rejet du fatalisme et de la résignation
Grâce à sa ténacité et son courage hors-normes, Leymah Gbowee a incarné la résistance, le rejet du fatalisme et de la résignation. Telle Moïse devant Pharaon, elle a refusé de courber la tête et de subir l’inacceptable. Son mouvement de femmes a permis, en 2005, la transition démocratique qui a propulsé au pouvoir Ellen Johnson Sirleaf, la première femme élue à la tête du Libéria… et première présidente élue dans l’histoire du continent africain. Avec Ellen Johnson Sirleaf et Tawakel Karman, elle a été récompensée en 2011 du Prix Nobel de la Paix pour le « combat non-violent » pour les droits des femmes et la paix. Cette grande cause lui a donné la célébrité et des perspectives de formation personnelle inédites, mais ce long combat lui a aussi coûté très cher. Née le 1er février 1972 dans une famille luthérienne pratiquante, confrontée à la pauvreté, à la guerre, l’exil et la violence masculine, puis à la surexposition politique et médiatique, elle a franchi tant de frontières. Sa vie personnelle, ses relations, son équilibre, sa santé, ont subi des pressions d’une intensité extrême, à la mesure des défis et risques immenses qu’elle affrontait. Leymah Gbowee n’a pas caché ses difficultés, mais cette protestante engagée a régulièrement mentionné sa foi chrétienne comme vecteur de réconfort et d’inspiration.
Ambassadrice en francophonie
Un film documentaire dirigé par Gini Reticker lui a été consacré en 2008. Son titre est clair : « Que tes prières renvoient le diable en enfer »[1]. Dans ses mémoires, elle commence la partie consacrée aux remerciements par ces mots : « toute la louange la gloire et l’honneur soient rendus à Dieu pour son amour inébranlable et sa constante faveur sur moi » [2]. Cette foi protestante non sectaire, elle l’a défendue aussi dans la francophonie, répondant à ce sujet avec franchise et insistance, dans les plus grands médias. Les journaux francophones La Croix, Réforme, mais aussi Libération, Paris Match, Le Temps, La Libre Belgique saluent la « guerrière de la paix ». Présente en invitée d’honneur par Agapé France et la FPF à l’événement Protestants en fête, fin septembre 2013 à Paris, elle affiche sa foi et ses convictions bien trempées lors d’une conférence mémorable le vendredi 27 septembre. Dans un interview donné en Suisse en 2015, elle souligne que pour elle » la Bible est le livre de la vie. C’est le livre où vous allez quand vous avez besoin de force, de sagesse ou de consolation », et explique son attachement particulier pour le texte prophétique d’Esaïe 54 [3]. Quelques mois plus tard, interrogée par le quotidien français Le Monde, elle affirmait notamment : « Je crois fermement que Jésus était féministe. Il a défendu les femmes, même les plus humbles, et a porté un idéal de justice sociale » [4]. Sans être elle-même francophone, Leymah Gbowee n’a jamais négligé la francophonie. Depuis le retour de la paix au Libéria, cette colombe au caractère d’acier continue à défier les frontières et prêcher la réconciliation, y compris entre les hommes et les femmes.
[1] Film « Pray the Devid Back to Hell » (2008). Lire aussi Gabrielle Desarzens, Parole aux femmes. Au Sud comme au Nord, elles changent le monde, Lonay, StopPauvreté, 2014, p. 13-20.
[2] Leymah Gbowee, Mighty Be Our Powers, New York, Beast Books, 2011, avec Carol Mithers, p. 245.
[3] Serge Carrel, « La spiritualité chrétienne, source de l’action de Leymah Gbowee, Nobel de la paix 2011 », site internet LaFree.ch (22 décembre 2015).
[4] « Leymah Gbowee : « il faut soutenir toutes les féministes » », Le Monde, 8 mars 2016 (online).