La République de Madagascar est membre de l’Organisation Internationale de la Francophonie depuis mars 1970, avec une éclipse de 12 ans entre 1977 et 1989. Elle nourrit une culture créolisée aux mille saveurs, qui résiste aux vents mauvais des appétits politiques et des prédations internationales. Le protestantisme est un ferment de cette vitalité. Il rassemble environ un chrétien sur deux sur cette île multiethnique de l’Océan indien, et propose à l’observateur un paysage très diversifié en matière de liturgie, de doctrine et de type d’église.
Il a été introduit, à l’origine, par des anglophones. C’est à des missionnaires protestants de la London Missionary Society qu’il revient d’avoir traduit la Bible en langue malgache, mais aussi d’avoir introduit l’alphabet latin sur la Grande Ile (1). Les turbulences des compétitions coloniales ont ensuite fait leur oeuvre, sur fond d’unification politique progressive où le protestantisme joue son rôle (2). Les Anglais sont partis, et les Français sont arrivés. Sans jamais perdre ses liens avec l’aire anglophone, le protestantisme malgache s’est tourné vers la francophonie, tout en développant une profonde originalité nationale, dont le ministère de « berger » est un des éléments remarquable, longtemps méconnu.
Le Réveil malgache analysé par Seth Rasolondraibe
Un ouvrage universitaire, issu d’une thèse de doctorat EPHE sous la direction de Jean-Paul Willaime, tombe à point nommé pour en savoir plus. Signé Seth Andriamanalina Rasolondraibe, il s’intitule Le ministère de « berger » dans les Églises protestantes de Madagascar, Fifohazana et Réforme dans le protestantisme (Carlisle, Langham, 2014, 472p). Cet ouvrage qui combine histoire et sociologie traite avant tout des mouvements de Réveil protestants, apparus dès la fin du XIXe siècle à Madagascar afin de dynamiser la piété personnelle et la vie des églises autour d’un discours prônant conversion et sanctification (perfectionnement chrétien). Ces mouvements ont été source de tension et de conflit institutionnel avec les Églises protestantes établies, mais ils ont aussi contribué à élargir l’assise protestante et à diversifier la palette des « ministères », comme l’illustre la popularité croissante du « berger ».
Le terme de « berger » est familier des lecteurs de la Bible. Jésus n’y est-il pas présenté, dans les Evangiles, comme « le Bon Berger » ? Au sein d’une partie du protestantisme malgache, le mot a revêtu une dimension supplémentaire. Il décrit un ministère spécifique, distinct de celui du pasteur -qui signifie pourtant aussi berger-. Le « berger », aujourd’hui formé au travers d’un cursus de deux ans, dispose du statut d’évangéliste, ouvert à la « révélation de la puissance de Dieu » (p.367). Capable d’enseigner, et porteur d’une importante fonction diaconale, il est apte à imposer les mains pour une « délivrance » qui « chasse au nom de Jésus les esprits mauvais » (p.372).
Le ministère de « berger », particularité malgache ?
Controversé, ce ministère est au départ absent du « curriculum » classique de formation des dénominations protestantes venues d’Europe comme les luthériens, les presbytériens, les méthodistes ou les baptistes. Appuyé sur une légitimation biblique, il s’ancre dans l’héritage d’une religiosité malgache retracée par l’auteur dans la partie 1 du livre (p.27 à 96). L’auteur montre bien la tension entre la logique institutionnelle des dénominations protestantes qui s’installent (partie 2, p.97 à 148) et la logique revivaliste (parties 3 et 4), contextualisée dans un christianisme malgache marqué par « l’interconnexion avec les forces spirituelles » (p.272).
La cinquième et dernière partie de l’ouvrage décrit, au-delà des tensions internes, les dynamiques communes à l’oeuvre au sein du protestantisme contemporain à Madagascar. Il propose aussi une précieuse typologie des « compromis » passés entre l’administration d’Etat, les institutions protestantes héritées des missions européennes et les mouvements de Réveil.
De Madagascar à la France
Porté par le mouvement de Réveil malgache, le ministère de berger est aujourd’hui exercé aussi en France. Dès 1989, une convention est signée entre le mouvement de Réveil et l’Eglise protestante Malgache en France (p.447). Les « bergers » malgache ou franco-malgache s’inscrivent dans ce mouvement et exercent depuis vingt-cinq ans, dans l’hexagone, dans le cadre de cultes en langue française fréquentés par des malgaches comme par des non-malgaches.
(1) Vincent Huygues-Belrose, Les premiers missionnaires protestants de Madagascar (1795-1827), Paris, Khartala, 2001
(2) Françoise Raison-Jourde, Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe siècle. Invention d’une identité chrétienne et construction de l’État, Paris, Khartala, 1991