Si elle avait été catholique, la Camerounaise Lydia Mengwelune serait une candidate de premier plan à la canonisation.
Les protestants la considèrent déjà volontiers comme sainte. Exemplaire. Une ample littérature d’édification la valorise ainsi. D’autant plus que Lydia a laissé une marque puissante, indélébile, exceptionnelle dans la mémoire du peuple Bamoun et, au-delà, dans celle de l’Église Évangélique du Cameroun dont elle a été un des premiers piliers.
De la faveur du roi au stigmate de la conversion
Née en 1886 dans une grande famille noble de Foumban, capitale du pays Bamoun (Centre-Ouest du Cameroun), deuxième fille d’une fratrie de 17 enfants, elle se signale précocement par une beauté et une intelligence hors du commun, qui attirent l’attention du roi. D’abord fiancée à un général, qui disparaît suite à une disgrâce, elle entre sous la protection de la reine mère, No Njapdunke, puis se retrouve concubine du roi Njoya (1860-1933). Elle devient sa favorite. Pratiquant avec aisance l’art de la conversation, danseuse émérite, Lydia bénéficie de la faveur royale. Elle est au centre des attentions, mais s’attire aussi des jalousies tenaces. C’est le temps où la colonisation européenne s’affirme. Des missionnaires venus de la Mission de Bâle commencent lentement à diffuser l’Evangile en pays Bamoun (1905-1915). Touchée par l’enseignement chrétien entendu à Foumban, Lydia obtient du roi Njoya un changement de statut. Elle ne sera plus désormais concubine royale, ni « danseuse du roi »[1], mais donnée comme épouse de Nji Wamben, un noble au service du roi.
Lydia devient catéchumène. Elle prie, lit la Bible, écoute avec une vive attention l’enseignement chrétien. Son comportement change. Elle reçoit le baptême à 23 ans, le 25 décembre 1909. C’est alors qu’elle prend officiellement le nom de Lydia. Elle va rapidement en payer les conséquences sociales, dans un monde Bamoun où le christianisme est ultraminoritaire. Victime des brimades et des brutalités de son mari et de la cour, elle perd une partie de son statut social et souffre dans sa chair. Les maux subis sont « presque indescriptibles »[2]. Le départ des missionnaires allemands en 1915 aggrave sa situation. Quels appuis trouver ? Les récits biographiques et correspondances de l’époque insistent sur la persévérance tenace de Lydia, qui impose peu à peu le respect autour d’elle par le calme stoïque dont elle fait preuve devant les humiliations subies. Une photographie célèbre de Lydia a été prise vers 1911-1915 par la missionnaire suisse (native de Marseille) Anna Wuhrmann [3]. Ce cliché (ci-dessus) exprime visuellement la dignité et la fermeté attribuées à cette chrétienne alors isolée, stigmatisée pour sa différence.
Une femme siégeant au conseil des hommes
Les bouleversements géopolitiques engendrés par la Première Guerre Mondiale conduisent la Mission de Paris à assurer le relai protestant. Elle s’implante en pays Bamoun. Le pasteur français Elie Allégret (1865-1940), après une visite à Foumban en 1917, envoie un instituteur chargé de mettre en place un conseil d’anciens. Lydia est appelée à siéger au milieu du conseil. « Une femme siégeant au conseil des hommes ! Et avec le même droit de vote ! Une femme, un être si méprisé chez les païens ! C’était inouï ! Mais ces chefs de la communauté avaient vu juste et avaient fait un bon choix.”[4] Dans une société qui change et s’ouvre, Lydia (restée sans enfants) va peu à peu infléchir les rapports de force. Alors que l’islam s’implante aussi, elle incarne avec détermination et constance un style de vie chrétien. Elle développe un témoignage en parole et en actes qui aboutit en fin de compte à la conversion de nombreuses femmes, mais aussi de son mari (un temps devenu musulman). Ancienne, catéchiste, évangéliste, Lydia prêche par l’exemple. “Son amour pour le service l’a rendue ancienne. L’église a eu et continue d’avoir des anciennes, mais celle dont nous parlons maintenant est une ancienne par excellence. Elle visite nos églises des quartiers et y donne des bons conseils aux catéchistes, aux catéchumènes, et aux chrétiens. Elle sait consoler les frères affligés. Elle a nourri des enfants orphelins qu’elle a acceptés volontairement. Beaucoup de femmes de catéchistes ont été éduqués par elle », lit on dans les archives de la SMEP[5].
Respectée et écoutée dans toute la région, elle devient une icône du christianisme Bamoun, alors qu’elle apprend peu à peu le français, langue des nouveaux colonisateurs. En 1931, la région Bamoun compte 31 postes de prédicateurs et 35 lieux de culte. La progression du christianisme se poursuit, et Foumban compte aujourd’hui une megachurch – Ndaambassie- de 14.000 fidèles. Pour les chrétiens de la région, Lydia est restée une référence fondatrice. Au-delà de sa personne, elle représente un idéal d’acculturation douce du christianisme au début du XXe siècle, dans une société polygame et multireligieuse marquée par la domination des hommes.
[1] Henri Nicod, La danseuse du roi Njoya, Paris, Neuchatel, Delachaux et Niestlé, 1950 (réédité en 2002).
[2] Jean-Paul Messina, Jaap Van Slageren, Histoire du Cameroun des origines à nos jours, Paris, Karthala, 2005, p.51.
[3] Dans Messina & Slageren (ibid., p.52), on lit au sujet d’Anna Rein-Wuhrmann: « Il semble que le travail d’A.R-W (..) a produit à Foumban des transformations durables pour la situation personnelle et sociale des femmes, qui a laissé des traces dans l’Église jusqu’aujourd’hui. Son talent missionnaire dépassa à certains égards celui de ses collègues, par exemple en n’imposant pas de règles rigoureuses de morale chrétienne traditionnelle -de style européen puritain-, mais persuadant d’adapter les règles chrétiennes à la culture du pays ».
[4] Anna Rein-Wuhrmann, Au Cameroun, Portraits de Femmes, traduit de l’allemand par Mlle. E. Lack, Paris, Sociétés des Missions Evangéliques, 1931, p.41.
[5] Alexandra Loumpet-Galitzine, Njoya et le royaume Bamoun. Les archives de la Société des Missions Evangéliques de Paris, Paris, Editions Karthala, 2006, p.166.