Pour avoir magnifié et modernisé les chants traditionnels du Togo, l’interprète Bella Bellow peut passer, à plus d’un titre, pour une « amazone du Seigneur » contemporaine.
Portrait n°4 de notre série de l’été : chaque semaine, des portraits de femmes africaines qui ont marqué leur pays. Douze « amazones du Seigneur ».
« Chanter, c’est prier deux fois », affirmait Luther. C’est dire si sacré et la spiritualité passent volontiers par la musique. Tout a commencé à Tsévié (Togo) où Georgette Nafiatou Adjoavi voit le jour le 1er janvier 1945. Elle grandit à Agoué-Nyivé (Togo), où elle poursuit des études qui la mènent à Lomé (la capitale), dans l’école des sœurs catholiques de Notre Dame des Apôtres, puis en Côte d’Ivoire, à Abidjan. Elle se destine alors au secrétariat. Dans la capitale du Pays des éléphants, sa voix ne passe pas inaperçue. Formée au solfège à l’école des Beaux Arts, elle commence, très jeune, à se produire en public, où son timbre vocal, son charisme et sa beauté font merveille. Bientôt, le producteur Gérard Akueson [1] l’encadre et la pousse à la conquête de la célébrité, avec son nouveau nom de scène, Bella Bellow.
La « blueswoman d’Afrique » qui conquiert l’Olympia
La jeune Togolaise se fait rapidement un nom, au point que le président du Bénin la convie à chanter lors de la fête de l’indépendance du pays, en 1965. Bella n’a que vingt ans, mais déjà, son nom et sa réputation franchissent les frontières. Sa recette ? Une reprise d’airs traditionnels togolais, avec un charisme personnel qui articule suavité rayonnante, profondeur émotionnelle et modernisation instrumentale. Après avoir fait très forte impression au Festival mondial des Arts Nègres au Sénégal en 1966, la voilà qui sillonne les capitales d’Afrique de l’Ouest (Kinshasa, Brazzaville, Libreville, Douala), avant de se rendre en France. L’Olympia, à Paris, lui réserve un accueil triomphal en 1969, année où elle enregistre son premier album [2].
C’est le temps où tout s’emballe, et Bella ne s’appartient plus complètement. La célébrité est une opportunité, mais aussi une épreuve. D’ancrage catholique, mais peu intéressée par les distinctions confessionnelles [3], Bella cherche ses appuis. La prière, chantée ou non, fait partie de ses ressources, et Bella sait qu’invoquer le Seigneur n’est pas de trop. Elle compte aussi sur son producteur et son équipe, car la demande est forte. Le public du monde entier la réclame, et la voilà au Brésil, au Stade Maracana, aux Antilles, à Athènes, à Split (Yougoslavie) et à Berlin. Celle qu’on surnomme bientôt la Blueswoman d’Afrique suscite l’enthousiasme populaire. Elle se marie en janvier 1972 à un magistrat togolais et crée son propre groupe, Gabada. Devenue maman, elle s’accorde une pause puis prépare une tournée internationale. Elle chante devant le président français Georges Pompidou lors d’une visite de ce dernier à Lomé (novembre 1972), puis au 10e anniversaire de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en mai 1973…
Patience… Et atteindre le village
C’est au Togo, dans sa région natale, avant de partir pour la première fois en tournée aux Etats-Unis (avec Manu Dibango), qu’elle trouve la mort dans un accident de voiture, le 10 décembre 1973. Sa Ford Capri se renverse, dans des circonstances jamais élucidées. Elle ne survivra pas au choc. Elle avait seulement 28 ans. Elle est inhumée au cimetière catholique La Plage, à Lomé. Catholiques et protestants de toute l’Afrique de l’Ouest la pleurent. Le Togo est en deuil. Un billet de 10.000 Francs CFA portera peu après son effigie, tout comme un timbre du Togo. Disparue prématurément, elle reste reconnue comme une pionnière, une Togolaise qui osa partir et chanter le destin, l’amour et la foi là où aucune de ses compatriotes n’était allé chanter avant. Bella Bellow n’était pas une interprète répertoriée comme spécialiste du chant religieux. Mais son œuvre vocale porte, entre autres, la marque indéniable d’une spiritualité chrétienne populaire, sans étiquette, ancrée dans l’expérience quotidienne de la souffrance, de la patience, de l’amour et de l’attente. Parmi ses grands succès, SANGO YESU KRISTO (Le sang de Jésus-Christ), enregistré tardivement avec Manu Dibango, ou le célèbre BLEWU, Patience (1966), toujours disponible sur les plates-formes vidéos d’internet, qui donne un exemple de cette spiritualité qui ne l’a jamais quittée. On peut considérer cette chanson comme un Negro Spiritual d’Afrique de l’Ouest. Voici la traduction du dernier couplet :
Seul Dieu notre créateur connait nos problèmes intimes tout au long de la vie
Seul le possesseur de cet univers connait nos problèmes intimes tout au long de la vie
Soyez éveillés et priez (X2)
Une vie aussi longue soit elle n’empêche pas la mort (X2)
C’est avec la patience qu’on pourra atteindre le village (X2)
[1] Gérard Akueson est le premier Africain à fonder en 1962 une maison de disques à Paris, les Disques Akue.
[2] Bella Bellow, album Rockya (1969).
[3] Une partie de sa famille était protestante, et un de ses frères est devenu pasteur.