Québécois, protestant, étudiant en sciences des religions à l’Université Laval de Québec, Jean-Samuel Lapointe partage son analyse sur les mutations protestantes au Québec. Pour lui, « il est devenu possible d’être Québécois francophone et non catholique ».
Pourriez-vous vous présenter ?
Je suis un étudiant originaire de la région de Québec, au Canada, inscrit en deuxième année de maîtrise en sciences des religions, à l’Université Laval. Je suis aussi membre de l’Église réformée du Québec. Dans le cadre de mes études, je me penche sur le protestantisme québécois de langue française. Avec une approche historique, je m’intéresse à ce qu’il y a de continuité et de discontinuité entre le protestantisme de l’époque de la Nouvelle-France (1534-1763), et celui de l’époque du Canada-Uni (1841-1867). Je m’intéresse, aussi, à la manière dont cette histoire est écrite.
Quelles sont les tendances actuelles de la recherche sur le protestantisme au Québec ?
On n’étudie le protestantisme québécois que depuis le milieu des années 1970. D’un point de vue historique nous sommes donc presque encore dans les débuts de l’étude du phénomène. Il y a un besoin de redonner au protestantisme québécois la place qu’il n’avait pas eue. En ce sens, les travaux de l’historienne québécoise Marie-Claude Rocher sont très pertinents. Il y a encore du travail à faire avant de comprendre jusqu’à quel point le protestantisme québécois a pu être oublié. Les travaux de Catherine Hinault, notamment sa thèse de doctorat soutenue à Paris 3, sont particulièrement intéressants. Le chemin qu’elle emprunte me semble ouvrir la voie à de belles opportunités d’étude du protestantisme québécois. En étudiant le protestantisme québécois du 19e siècle sous l’angle de la conversion et du stress acculturatif que cela produit, elle met en lumière une des particularités du protestantisme québécois. Ce protestantisme qui nait au Québec au 19e siècle, à partir de missionnaires des mouvements de réveils, a la particularité d’atteindre des catholiques d’origine. La majorité des mouvements protestants de réveils, à travers le monde, ont d’abord touché des protestants de baptême et non des catholiques comme il a été le cas au Québec.
Un des aspects du protestantisme québécois qu’il serait intéressant de connaître davantage, mais sur lequel nous n’avons que très peu d’études, se situe du côté de l’histoire intellectuelle. Il serait pertinent de faire des études littéraires et théologiques afin de savoir comment les communautés québécoises protestantes ont pensé leur religion.
En tant que protestant québécois, que pensez-vous du portail Regardsprotestants ? Auriez-vous des suggestions ?
En tant que québécois, le portail Regardsprotestants est une source d’inspiration et d’exhortation immense. Peut-être l’herbe paraît-elle toujours plus verte dans la cour du voisin, mais il me semble que le Regardsprotestants incarne deux grandes qualités qui seraient profitables au protestantisme québécois. Tout d’abord, la relecture de l’actualité d’un point de vue de la foi est probablement la meilleure façon de garder une tradition bien vivante. Bien que cette relecture puisse se faire en chaire, à l’ère du web 2.0, il est nécessaire que ce travail soit aussi disponible sur internet. Le Québec protestant n’a pas d’interface aussi complète que Regardsprotestants à propos de l’actualité. Votre portail représente aussi une unité, ou du moins une coopération et une ouverture aux caractères multiconfessionnels du protestantisme. Le Québec protestant ne connait pas d’organe de communication multiconfessionnel, si ce n’est la Société d’histoire du protestantisme franco-québécoise. Mais, étant une société d’histoire, elle n’a pas une mission comparable à celle de Regardsprotestants.
Ma principale suggestion serait davantage un encouragement à continuer en ce sens. Ne laissez pas les discussions, parfois très difficiles, entre les différents protestantismes, venir rompre les rapprochements. Disons que pour le Québécois que je suis, voir réunis sous la même page web La Revue adventiste, Évangile et liberté, et Évangélique.info, tient littéralement du miracle.
Pouvez-vous décrire trois spécificités de la francophonie protestante québécoise aujourd’hui ?
Je dirais que les trois grandes spécificités du protestantisme québécois sont le multiculturalisme, l’évangélisme, et la confessionnalité.
Le protestantisme québécois a su accueillir en son sein, des gens de diverses origines ethniques. Ce caractère est pleinement assumé dans la mission de certaines églises[1] ou encore par le nom qu’elles se donnent[2].
La part des Églises anciennes (presbytérienne, unie, anglicane, etc.) dans le protestantisme québécois diminue de plus en plus au profit des mouvements évangéliques comme les pentecôtistes, les baptistes ou l’Alliance Chrétienne et Missionnaire. Comme je le disais plus haut, le protestantisme québécois n’est pas très œcuménique. Les églises de confessions semblables se réunissent entre elles pour divers événements, mais il n’existe pas de structure plus englobante, comparable à la Fédération Protestante de France, permettant à des églises plus éloignées théologiquement d’entrer en dialogue.
Depuis la Révolution tranquille, l’identité québécoise s’est sécularisée. Est-ce que cela menace, ou cela facilite la prise en compte du protestantisme francophone comme part de l’identité québécoise ?
La Révolution tranquille a ouvert des portes et en a fermé d’autres. D’une part, la Révolution tranquille a peu à peu retiré au catholicisme son rôle de fondement de l’identité québécoise. En brisant le lien indissociable entre catholicisme et langue française, il est devenu possible d’être Québécois francophone et non-catholique, donc possiblement protestant. Le recul du sentiment anti-protestant qu’il a pu y avoir à une certaine époque a permis plus d’ouverture. Malgré cela, avec le rejet du catholicisme est aussi venu un certain rejet du religieux ; le nom de Jésus, qu’il soit prononcé par un catholique ou un protestant sonne souvent de la même façon aux oreilles de ceux qui ont tourné le dos au catholicisme québécois. En général, face au protestantisme, la majorité québécoise est probablement passée de l’hostilité à l’indifférence.
[1] On peut lire dans la mission de l’église réformée Saint-Marc : « Transmettre un enseignement biblique qui transforme les vies à la ressemblance de Jésus-Christ : En accueillant les croyants de toute nation… ». http://stmarc.erq.qc.ca/index.php/notre-vision/
[2] Par exemple : le Carrefour évangélique des nations, ou l’Église évangélique Haïtienne de L’Alliance Chrétienne et Missionnaire.