« Être réfugié n’est pas une identité, c’est un passage »

Alors que l’Europe fait face, depuis deux ans, à une montée des demandes d’asile, dans le contexte de la guerre en Syrie et de la crise libyenne, les églises jouent souvent un rôle de passerelle.


Naomi Baki, ancienne réfugiée sud-soudanaise, chrétienne protestante évangélique, est devenue francophone, et Française.

Auteure de Je suis encore vivante (Paris, Le Cerf, 2013), elle nous fait partager son expérience et son analyse.

Vous vous êtes fait connaître au public protestant francophone en 2012-13, par des interview et la publication de votre livre, « Je suis encore vivante ». Avec quelles Églises avez-vous eu des contacts à ce moment-là ?

Avant, pendant et après la publication de mon livre, j’ai eu l’occasion de parler dans toutes sortes d’églises. J’ai commencé par être invitée dans des églises baptistes, puis, après la sortie de l’ouvrage, j’ai été plus souvent invitée dans des milieux catholiques. J’ai par exemple été invitée par le Lycée catholique La Providence de Blois; il y a aussi un autre lycée catholique à Pierrefonds (Oise) où j’ai été invitée. J’ai par ailleurs été contactée par les Associations Familiales Catholiques à Château-Thierry (Aisne). Des médias catholiques (comme La Croix et La Vie) et protestants (comme Réforme, Croire et Vivre, et ZeMag à la télévision) m’ont aussi interviewée. J’ai pu aussi intervenir dans une Église évangélique d’Orléans. Je suis contente car je crois que je corps de Christ est un, nous sommes le corps de Christ, et je suis heureuse d’aller dans différents types d’églises pour parler de ce que Jésus-Christ a fait pour moi. Ceux qui persécutent l’Eglise, ils ne font pas de différence entre catholiques et protestants.

Pouvez-vous nous résumer la suite de votre parcours en France jusqu’en cette année 2016 ? Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre pays d’accueil ?

Quand je suis arrivée au début de l’année 2011, je n’avais pas de papiers. Mais j’ai eu la foi que j’obtiendrais le droit d’asile et après six mois, j’ai obtenu de l’OFPRA le statut de réfugiée, et la carte de séjour de dix ans. Je tiens à dire que dans la recherche des informations sur ce qui s’était passé au Soudan au moment où j’ai tout perdu là-bas, un site internet créé par le père Hubert Barbier a été très utile. Depuis mon arrivée, je me suis mise à apprendre le Français. J’ai obtenu le 3e niveau de langue française (B1). J’ai commencé à travailler dans les espaces verts, espérant que des portes s’ouvrent. Cela s’est produit. Cela m’a donné l’opportunité de faire une formation d’hôtesse d’accueil. J’ai obtenu le code de la route et le permis de conduire J’ai suivi des formations dans le tourisme, avec différents stages. Et je travaille actuellement dans une exploitation agricole, « les jardins de Pontarcher », près de Soissons. Je suis chrétienne, ainsi que ma fille qui a été baptisée dans l’église Alliance de Paix de Soissons, et je remercie Dieu d’avoir eu l’occasion aussi de faire un travail missionnaire, en particulier avec l’organisation International Commission. J’ai pu aller au Texas, y parler dans des écoles, j’ai pu aussi rejoindre une équipe d’évangélisation à Bruxelles et à Namur, en Bulgarie et en Hongrie, pour un travail d’aide et de témoignage auprès des plus démunis. Et puis j’ai obtenu la nationalité française à l’automne 2015. Je remercie Dieu ! Pour en savoir plus, mon témoignage est disponible dans le livre que j’ai publié en 2013.

Arrivée sans papiers en 2011, reconnue réfugiée, puis naturalisée française fin 2015, c’est un parcours peu commun ! Quel rôle a joué votre foi dans tout cela ?

Sans la foi en Dieu, tout cela n’aurait pas pu se faire. Je serais morte depuis longtemps, et la France ne m’aurait jamais vue. Tout a commencé par la confiance en Dieu, et faire des pas de la foi avec Lui. Dieu a fait pour moi ce qui paraissait impossible. Je crois ce verset de Jean 15 : 7 : « Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé ». La condition, c’est de demeurer en Dieu. Le suivre. Avant que je vienne en France, j’ai dit à Dieu : « le pays qui me donnera des papiers, je le prendrai comme mon pays ». Je prends complètement la France comme mon pays. La France est une contrée dont beaucoup de gens rêvent, mais beaucoup n’ont pas cette opportunité de s’y installer. Moi j’ai eu cette opportunité et c’est une grâce dont je suis très reconnaissante. Je vais faire de mon mieux comme tout Français pour ce pays. Je ne peux pas être plus reconnaissante. Nous avons retrouvé une identité légale grâce à la France. Si ma vie est construite aujourd’hui, c’est en France que cela a pu se faire. Avant, je ne pensais plus cela possible.

En tant que Sud-Soudanaise, vous avez dû apprendre le français, et vous continuez à vous perfectionner. Que pensez-vous de cette langue ?

Le français est une très belle langue. C’est très riche. Il y a des règles, conditions, que nous ne trouvons pas dans d’autres langues. C’est une langue fière, une langue de débat, une langue de perfection. Je suis quelqu’un qui apprend les langues vite. Avec le français cela prend du temps, à cause de toutes les procédures de vie. Je dois tout commencer depuis le début, je dois accompagner mon enfant, il y a beaucoup de questions administratives, je dois comprendre, m’adapter. Parfois, cela me paraît écrasant. Mon apprentissage de la langue progresse parfois peu. Je parle avec les gens, j’écoute un peu la radio, mais je ne regarde pas la télévision, j’utilise le dictionnaire souvent quand je lis. Depuis que je suis en France, je me suis habituée aux gens de Picardie. Mais une fois, j’ai entendu l’accent venant de Provence, et je me suis demandée, « sont-ils français ? » Après quelques minutes, j’ai réalisé que oui. Je ne savais pas qu’il y avait différents accents. Le culte, la lecture de la Bible, m’aident aussi pour le français, mais ce n’est pas du vocabulaire de la vie quotidienne. Il y a des choses très proches entre le français et l’anglais, mais aussi des pièges. En anglais, on peut dire « I am comfortable », mais en français, on ne dit pas trop « je suis confortable ». Au début, quand j’ai entendu les Français faire « pffffffff », cela m’a étonnée. Je trouvais ça embarrassant. Mais les Français le font.

Pourriez-vous donner un exemple de chant francophone, dont vous ne connaissiez pas la version en anglais ?

La plupart des chants chrétiens que j’aime chanter en français, ils sont traduits d’une autre langue. « A toi la gloire », par exemple, que j’aime beaucoup, existe en anglais (« Thine be the glory »). Je le chantais aussi en langue arabe dans ma jeunesse, au Soudan. Mais je pense à « Je suis dans la joie » de pasteur Guy (chant chrétien ivoirien, ndlr). Celui-là, je ne l’ai jamais entendu avant en anglais, je ne le chante qu’en français.

Comment voyez-vous aujourd’hui la crise des réfugiés ?

Jésus et sa famille ont été réfugiés. Ils sont partis se réfugier en Egypte, pour fuir un massacre. Je vois que ce n’est pas facile, aujourd’hui, en Europe. Je comprends. On ne sait pas qui est qui. Intégrer tous les arrivants, commencer le travail, les familles, l’aide sociale… Tout cela coûte, et cela pèse sur ceux qui travaillent déjà. L’adaptation culturelle est difficile. Certaines personnes, qui arrivent en Europe, n’ont connu que la violence…. parfois aussi, certains viennent pour de mauvaises raisons. Il y a ce proverbe qui dit, « un oignon pourri peut corrompre tout le sac ». Ce n’est pas facile ! Mais ce que je sais, c’est que l’Eglise doit aider. L’Eglise n’est pas le gouvernement. Le gouvernement fait sa part, on ne peut pas attendre de lui qu’il fasse comme l’Eglise. L’Eglise doit accueillir et montrer Jésus par ses paroles et ses actes. Etre réfugié ce n’est pas un état permanent. Beaucoup de Français ont été réfugiés par le passé. Les protestants le savent. Etre réfugié n’est pas une identité, c’est un passage. Avant d’être réfugié nous sommes tous des êtres-humains. Notre identité se trouve en Dieu, qui nous a tous faits.