Dans ce troisième volet de notre série sur Haïti, un focus sur les Églises de Réveil, Églises prophétiques, Églises pentecôtistes et charismatiques.
Plus grand territoire francophone des Caraïbes, la République d’Haïti, indépendante depuis 1804, a connu une mutation confessionnelle considérable avec la « protestantisation » d’un gros tiers de sa population. Une des composantes de cette nouvelle dynamique protestante est l’évangélisme non-pentecôtiste. Mais la matrice la plus importante est spirito-centrée, via Églises de Réveil, Églises prophétiques, Églises pentecôtistes et charismatiques.
La matrice la plus nombreuse de l’essor protestant haïtien se repère dans le développement, depuis cinquante ans, d’un évangélisme spirito-centré. Il donne au Saint-Esprit la place d’honneur dans les systèmes de croyance. Guérison, prophétie, glossolalie, exorcisme constituent ici les matériaux privilégiés des cultes, non sans recours à la Bible, principal référentiel écrit. Une moitié environ du protestantisme haïtien s’inscrit complètement dans cette matrice, mais si l’on élargit la focale pour examiner les dynamiques d’influence, on peut considérer les 3/4 du terreau protestant haïtien comme partie prenante.
Influences du « combat spirituel »
Une part de ces Églises s’inscrit dans l’influence de ce que l’on appelle le « charismatisme Troisième Vague », à savoir un évangélisme qui valorise particulièrement le combat spirituel, le réenchantement des lieux (spiritual mapping) et les « signes et prodiges ». Les travaux d’Elisabeth McAlister sont particulièrement éclairants pour comprendre cette influence. Elle montre très bien comment s’est développé, sous l’effet du charismatisme troisième vague, un climat de « guerre spirituelle » contre le vaudou et (dans une moindre mesure) le catholicisme, sur fond d’une relecture spirituelle du passé de Haïti. Oblitérant la lecture politique, on nourrit l’idée d’un pacte original avec le diable lors d’une cérémonie à Bois Caïman, quelques semaines avant la révolution haïtienne de 1791. En échange du soutien du diable, les révolutionnaires seraient entrés dans un pacte de sang de deux fois cent ans[1]. Cet événement en partie légendaire a été instrumentalisé par le télévangéliste Pat Robertson (proche du charismatisme Troisième Vague), pour donner la cause du tremblement de terre du 12 janvier 2010. La libération de la tutelle coloniale française aurait été acquise au prix d’un pacte avec le diable. Une succession de désastres auraient scandé l’histoire d’Haïti depuis ce funeste pacte, jusqu’à l’atroce séisme de 2010. Ce type de lecture dépolitise les enjeux au profit d’une lecture spiritualisante où l’enjeu est avant tout de prier, et d’étendre le périmètre des Églises, indépendamment des rapports de force sociaux, économiques et politiques.
Terreau local pento-charismatique
Mais l’influence néopentecôtiste ou charismatique Troisième Vague (peu importe l’appellation) est loin de circonscrire la réalité sociale foisonnante des Églises haïtiennes spirito-centrées. Ces dernières s’appuient d’abord, et surtout, sur un terreau local d’Églises pentecôtistes et charismatiques implantées, à l’origine, sur impulsion extérieure, mais largement acculturées depuis au terreau créole local. À partir des Assemblées de Dieu (ADD), établies en Haïti depuis 1945, de nombreux réseaux et dénominations de type pentecôtiste, tels l’Église de Dieu (établie depuis 1969) ou, plus récemment, l’Église internationale quadrangulaire (FourSquare, implantée en 1981) ont pris racine sur l’île, développant une spiritualité de l’efficacité tournée vers la guérison et la délivrance, sur fond de contrôle social par le biais des pasteurs et des conseils locaux. Leur accent sur le surnaturel ne les détourne pas pour autant des réalités socio-économiques. Nombre de ces Églises développent des initiatives solidaires pour répondre aux demandes scolaires et médicales des populations. L’histoire de ces Églises pentecôtistes et charismatiques d’Haïti reste largement à faire.
L’émergence d’Églises prophétiques endogènes
Last but not least, comment ne pas signaler l’essor, depuis vingt ans, d’Églises prophétiques et d’Églises de Réveil ? Elles sont issues de la nébuleuse pentecôtiste-charismatique, mais ont développé des accents propres, non sans dérives sectaires parfois. Ce phénomène est repérable ailleurs dans les Caraïbes. On le repère aussi, à beaucoup plus vaste échelle en Afrique sub-saharienne (Églises de Réveil). Il n’en est qu’à ses débuts. Issu d’un processus de scissiparité au sein du monde pento-charismatique, il annonce des recompositions post-coloniales appelées à interroger les nomenclatures existantes, héritées de l’histoire du christianisme européen et nord-occidental. À partir de sources locales, ces nouvelles Églises haïtiennes réencodent, pour les neutraliser, des éléments symboliques présents dans le Vaudou, et développent un prophétisme qui rejette « les habits de victime »[2], pour valoriser les modèles du conquérant de la foi, suivant une « politique des nations » fondée sur la revanche des Suds[3]. Ce n’est pas un hasard si plusieurs multinationales évangéliques d’Afrique de l’Ouest, comme la Christ Embassy du pasteur Christ Oyakhilome, commencent depuis quelques années à s’implanter, et resserrer les liens avec les « frères et soeurs » de Haïti.
Elles posent de nombreuses questions à l’observateur. Ne nourrissent-elles pas une forme d’ « opium » populaire qui endort les revendications politiques ? N’alimentent-elles pas parfois une « économie des miracles » à forte charge sectaire, qui nourrit davantage les pasteurs/prophètes qu’elle ne soutient les fidèles ? Les dérives sectaires existent, c’est une évidence. Mais si ces Églises recrutent, c’est aussi parce que les fidèles y trouvent, malgré tout, « leur compte ». Tout se passe comme si ces mobilisations prophétiques nourrissaient une relecture spirituelle de la problématique de la dette, au fondement du drame haïtien contemporain : d’endetté, Haïti devient prêteur, provisionnant une audience transnationale en prophétisme conquérant.
A suivre…
[1] Elisabeth McAlister, « From Slave Revolt to a Blood Pact with Satan : the Evangelical Rewriting of Haitian History », Studies in Religion, juin 2012, p.187-215.
[2] Expression de l’anthropologue Maïte Maskens.
[3] Voir Sandra Fancello et André Mary (dir.), Chrétiens africains en Europe, Prophétismes, pentecôtismes et politique des nations, Paris, Khartala, 2010.