Entretien avec le pasteur Mamadou Karambiri, protestant évangélique. Il évoque ses relations avec l’islam, religion dont il est lui-même issu.
Rencontré au siège du Centre International d’Evangélisation, megachurch à Ouagadougou (Burkina Faso), Mamadou Karambiri nous a accordé un long et passionnant entretien. L’une des personnalités religieuses francophones les plus connues d’Afrique de l’Ouest, protestant évangélique convaincu, époux d’Hortense Karambiri qui travaille à ses côtés, il s’exprime ici sur les relations avec l’islam, religion dont il est lui-même issu.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Mamadou Philippe Karambiri. Ce petit nom de « Philippe » que les gens voient apparaître vient d’une anecdote que j’ai vécu dans mon enfance. J’ai grandi au sein de l’islam. En tant que jeune musulman pratiquant, assidu à la mosquée, j’avais beaucoup de curiosité. Le samedi, je me cachais pour aller en douce à l’Eglise catholique de mon village pour lire Bibi Fricotin, Tintin et Milou, d’autres choses, mais j’avais peur que je prêtre découvre ma religion. Un jour le prêtre, m’ayant vu, me demande « comment tu t’appelles? » Je lui réponds « je m’appelle Philippe, j’ai 7 ans ». C’est un nom que j’avais sorti de ma tête sur le coup, pour ne pas me faire démasquer. Une semaine plus tard, le prêtre m’apostrophe dans la rue : « Philippe ! » Et moi je ne réponds pas, je ne réagis pas… Alors il me dit : « tu m’as menti ! » Alors je lui ai répondu : « oui, je suis musulman, mon vrai nom est Mamadou »…
Votre famille musulmane était pratiquante ?
Je suis né, en effet, dans une famille musulmane très pratiquante. Mon père était walidou, un saint de l’islam, très respecté. J’ai été initié à la lecture du Coran à Bobo Dioulasso, la capitale économique du Burkina Faso. C’est là où j’ai appris l’islam, dans la grande mosquée, avec deux frères éminents qui venaient de l’Egypte. J’ai grandi en pratiquant assidûment le carême, c’est-à-dire le jeûne du mois de Ramadan. Je respectais ma religion. Je n’avais jamais pensé à quitter l’islam, j’ai grandi dans cet environnement.
Comment s’est effectué votre passage au christianisme ?
Au fur et à mesure que j’évoluais dans la vie scolaire, surtout au lycée, la religion s’évaporait un peu pour moi. J’étais au contact avec les choses de ce monde, le sport, la musique…, je me suis laissé aller. Mais au lycée, c’est moi qui conduisait les jeunes musulmans pour le mois de Ramadan, j’organisais les choses pour qu’on mange le matin à 4H avant le lever du soleil, à la grande mosquée de Ouagadougou. Je n’étais pas quelqu’un de passif, j’étais pratiquant. Au fur et à mesure, je me suis fait de jeunes amis, des catholiques, et de temps en temps je les suivais pour aller à la messe. Je m’asseyais au dehors, j’écoutais ce que le prêtre disait. Cela me rappelait un événement très important de mon enfance, où je me cachais pour la messe de minuit des catholiques, à l’époque de Noël. Je me disais : « quelle est cette religion où on chante beaucoup ? Les gens semblent heureux ». C’est ainsi que jeune musulman, à l’âge de 6 ans, j’avais imprimé dans ma mémoire « Il est né le divin enfant », « Les anges dans nos campagnes »… J’étais touché. Quand je suis revenu à la messe à l’époque du lycée, en suivant mes camarades catholiques, ces choses là me revenaient. Je me disais : « J’aime ma religion, mais ces chrétiens semblent parler de quelqu’un qui semble être vivant ». Je continuais, dans le même temps, à faire beaucoup de sport, du handball, du basket… Je suis devenu avant-centre de l’équipe nationale de Haute Volta au Lycée. Je faisais de la musique aussi, avec des amis. Puis ce fut le Baccalauréat (1967-68). Ensuite, je suis allé à l’université à Abidjan durant deux ans. Mais nous avons été renvoyés pour cause de grêve, et je me suis retrouvé au Togo. Mais voilà que le Togo veut nationaliser son université ! Comme il y avait des difficultés, le gouvernement m’a envoyé à Toulouse, en France, « la ville rose ».
C’est en France que vous êtes devenu chrétien ?
Oui, durant mon séjour à Toulouse, d’octobre 1972 à juin 73. J’ai vécu une expérience en allant dans une église ADD (Assemblée de Dieu) de France au 47 rue Temponières, à Toulouse centre. Pourtant, quand j’ai vu la plaque, « église évangélique des ADD », je me suis dis, « tout sauf ça ». Je croyais qu’il y avait là des pratiques un peu magiques. J’ai fait demi tour pour partir. Et là, j’entends une voix profonde en moi qui me dit : « si tu vas, c’est la dernière fois pour toi ». Alors je me suis assis près de la porte. Je me disais, « si ça ne va pas je sors ». Je suis resté. puis un jeune Algérien converti, Salim, a été inspiré. Il m’a placé au premier banc, à la gauche du prédicateur. Il y avait une ambiance électrique dans cette salle! Quand le monsieur s’est levé pour prêcher, je ne le regardais pas, je regardais à sa droite, mais le message de l’Évangile me touchait profondément. Quand il y a eu l’appel, « Qui veut se donner à Christ », je me suis lancé. C’était le troisième dimanche de 1973. Puis une dame m’a acheté une belle Bible à la couleur rouge. Et j’ai commencé ma nouvelle vie avec Jésus-Christ, que j’ai appris à mieux connaître.
Depuis, Mamadou Karambiri est devenu pasteur, puis fondateur d’une oeuvre, le Centre International d’Evangélisation, qui rayonne en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. A la tête, avec son épouse Hortense, de la plus grosse église de Ouagadougou, il nous livre à présent son sentiment au sujet du contact entre christianisme évangélique et islam au Burkina.
Actuellement, au Burkina Faso, les Églises évangéliques et pentecôtistes se sont beaucoup développées, et la question se pose de la cohabitation avec l’islam. En tant qu’ancien musulman, comment vivez-vous les relations avec les musulmans ?
Au CIE, et dans d’autres Églises aussi, nous avons beaucoup d’anciens musulmans. Mais ils taisent souvent leur conversion. Deux éléments sont à rappeler. D’abord, la modération. L’islam, ici, est modéré, assez social, il tient compte des liens familiaux. La culture musulmane ici est très attachée à la cohésion de la famille. Dans une même famille, il peut y avoir un catholique, un protestant, un musulman, et ça fonctionne bien. Les liens familiaux prédominent sur la religion. Mais depuis quelques années, il y a plus de soucis. Avant, à Noël, les gens se fréquentaient bien. Mais quelques jeunes font pression sur les responsables, il y a plus de peur. A la Tabaski (Aïd el Kébir), les chrétiens partaient chez les musulmans pour les saluer. Actuellement il y a plus de prudence. Les gens se sont éloignés les uns les autres. Mais sans que cela tourne à la violence. D’autre part, les responsables religieux de l’islam au Burkina sont des gens assez éclairés. Je discute régulièrement avec ces chefs religieux. J’ai de bonnes relations avec plusieurs d’entre eux. Nos causeries sont franches, amicales, ce qui fait qu’en réalité, il y a beaucoup de respect mutuel entre nous. Nous ne débattons pas de la doctrine en profondeur, nous débattons du fait que nous sommes des Burkinabés, des êtres humains, et que nous pratiquons chacun notre religion du mieux que nous pouvons. Nous avons, les uns et les autres, à nous garder des extrémistes. On en trouve de temps en temps, au Burkina. Quand ils se montrent dans une mosquée, les musulmans les arrêtent. Il faut être vigilant. Globalement, nous avons ici un islam pacifique.
Comment fonctionne l’évangélisation avec les musulmans ?
Nous nous adressons à tous. Dans beaucoup de pays musulmans, les musulmans ne regardent pas d’émissions chrétiennes; ici, ce n’est pas le cas. Les émissions que nous diffusons sont beaucoup regardées par les musulmans. Par exemple, l’émission TV de mon épouse, Hortense, sur la famille, est très appréciée par eux. L’émission touche la femme, montre que la femme a une bonne place, qu’elle peut être active, tout en respectant son mari. Dans nos cultes, notre évangélisation, nous nous tournons vers tous les Burkinabés, quelle que soit leur religion. Aux musulmans comme aux chrétiens, moi je dis : « nous ne parlons pas de religion, nous parlons de changement de vie. Nous ne parlons pas d’un système, nous parlons de Jésus-Christ ressuscité et de l’Esprit de vie ». Je n’aime pas la religion, je ne prêche pas la religion mais Jésus ! Je dis aux musulmans : « on ne vous demande pas de changer de religion. D’ailleurs, les chrétiens religieux, ce n’est pas mieux que les musulmans religieux ! » La religion ne sauve pas. Ce qui sauve, c’est Jésus le Christ, qui est vivant et qui renouvelle notre vie. Mais ensuite, quand ils font le pas, obligatoirement, ils ne restent pas longtemps musulmans, ils changent de religion aussi, hahaha ! Mais l’accent n’est pas sur le changement de religion. Nous appelons à découvrir plus profondément qui est vraiment Jésus, pour avoir une relation vivante avec lui.