Président du Conseil national de l’Eglise protestante unie, la plus grande église protestante de France, le pasteur Laurent Schlumberger partage avec nous son expérience sur le protestantisme et la francophonie.
Propos recueillis par Sébastien Fath
En tant que responsable de l’Eglise protestante unie de France rattachée à la FPF, pouvez-vous vous présenter et décrire vos principales activités ?
L’Eglise protestante unie de France (EPUdF) est l’union, réalisée en 2012 et 2013, de l’Eglise évangélique luthérienne et de l’Eglise réformée de France. Elle est donc à la fois la plus ancienne des Eglises protestantes en France et une Eglise récente. Cette situation illustre d’ailleurs bien sa position : adossée à une longue et riche histoire, elle est également engagée dans une mue considérable, qui la conduit à faire évoluer en profondeur sa manière d’être Eglise aujourd’hui. C’est ce qu’exprime sa volonté d’être, de manière renouvelée, « une Eglise de témoins ».
Le Conseil national représente le Synode national, quand celui-ci n’est pas réuni pour sa session annuelle. Et le président que je suis a principalement trois tâches : veiller à ce que l’Eglise protestante unie, institution à la fois assez légère mais consistante, fonctionne au mieux ; rencontrer, faire vivre les liens notamment avec les partenaires de l’Eglise (Communautés, œuvres et mouvements, Eglises sœurs en France et à l’étranger, etc.) ; proposer des orientations, car plus les Eglises locales sont responsables de leur vie et de leurs orientations, plus les grandes options communes doivent être claires et partagées.
Quelle est la part, dans les paroisses de l’EPUdF, des francophones non français ?
Cette part a toujours été significative, dans la mesure où la dimension internationale a été et demeure une constante du protestantisme réformé et luthérien français. Le nombre de pasteurs francophones en poste dans notre Eglise et de pasteurs de notre Eglise en poste à l’étranger, par exemple, illustre bien cette constance des échanges, qui est comme une respiration nécessaire.
Depuis une génération, cette présence de francophones étrangers dans les Eglises locales de l’EPUdF s’accentue, du côté des fidèles. Ce renforcement est principalement le fait de chrétiens protestants venus d’Afrique. Bien sûr, l’évolution ne se fait pas au même rythme dans toutes les paroisses. Mais là où la démographie est importante et mobile, donc notamment dans les villes – mais pas exclusivement –, elle est tout à fait nette. Et elle se fait globalement de manière heureuse !
Je présidais il y a peu un culte dans une communauté locale en banlieue parisienne, dans laquelle je n’étais pas venu depuis 25 ans. L’assemblée était alors très blanche, de peau et de cheveux ! Elle est désormais majoritairement noire et sensiblement plus jeune. Des études commencent à analyser de près et confirment cette tendance, que l’on constate empiriquement depuis un certain temps.
Pourriez-vous décrire les relations missionnaires que vous entretenez avec la francophonie ?
Les Eglises francophones avec lesquelles l’Eglise protestante unie est en lien de coopération sont principalement situées en Europe et en Afrique.
Avec les Eglises d’Afrique, l’héritage historique missionnaire est à la source de cette coopération. Mais depuis maintenant une quarantaine d’années, celle-ci s’est complètement transformée. Il n’y a plus d’Eglises-mères et d’Eglises-filles, mais des Eglises-sœurs. La mission est devenue une mission « de partout vers partout », selon le principe d’une égalité de responsabilité. C’est là le fruit de la croissance en maturité des Eglises, de la démographie, de la globalisation, et de la conviction partagée par les Eglises du Nord comme par les Eglises du Sud que la mission dans leur propre environnement est leur tâche essentielle. Dans cette coopération, nous insistons sur l’échange des personnes : ministres, enseignants, voyages de jeunes, rencontres de toute nature. Car il n’y a pas de mission sans rencontre en chair et en os.
Avec les Eglises européennes (Belgique, Suisse, Eglise vaudoise d’Italie, etc.), la proximité géographique favorise les projets plus réguliers, par exemple dans les domaines de la catéchèse ou de la formation permanente des ministres, et l’habitude de la concertation dans de multiples domaines.
Au sein de quels réseaux francophones êtes-vous le plus impliqué ?
Je ne suis pas sûr qu’il soit pertinent de parler de réseau francophone, au sens strict. L’Eglise protestante unie entretient des relations bilatérales avec une cinquantaine d’Eglises dans le monde et elle est membre actif de huit réseaux ou structures internationales, de la Conférence des Eglises protestantes des pays latins d’Europe (CEPPLE) au Conseil œcuménique des Eglises (COE). Aucun de ces réseaux n’est exclusivement francophone. Mais tous ont le français parmi leurs langues officielles. Je dirais donc plutôt que, dans les réseaux qui existent et qui sont issus de vocations particulières ou centrés sur des missions spécifiques, le fait de pouvoir parler la même langue ajoute une proximité ou une complicité supplémentaire.
Pensez-vous qu’il y a une manière francophone de vivre le protestantisme ? Si non, pourquoi ? Si oui, comment la décrire ?
Cette tonalité francophone se retrouve bien sûr et par définition dans tout ce qui touche au langage ! Et la théologie ou la piété s’expriment toujours dans une langue particulière, qui s’influence réciproquement. Je suis ému quand je pense à ce grand théologien italien, qui maîtrise plusieurs langues étrangères et qui me disait qu’il ne pouvait dire le Notre-Père que dans la langue française. Le français est pour lui la langue de l’intime de sa foi. Il y a donc une manière francophone de vivre le protestantisme dans la liturgie ou dans l’hymnologie, et l’on sait combien l’hymnologie est structurante pour les Eglises issues de la Réforme, ou dans les linéaments de la pensée théologique, en référence à Calvin par exemple.
Mais, pour rebondir sur ce dernier point, l’une des Eglises pour lesquelles la commune référence à Calvin est vraiment importante est une Eglise coréenne ! La communauté de langue me semble de moins en moins être un élément déterminant pour faire vivre des affinités issues de l’histoire, de la géographie, de la parenté théologique. D’autres paramètres sont plus importants.
Je pense d’abord à la situation d’ultra-minorité ou non. Les Eglises minoritaires, quelle que soit leur environnement linguistique respectif, ont souvent une forte proximité ; elles ont l’habitude d’aborder les questions, les défis, les relations, sous un angle souvent très voisin. Mais je pense aussi à la sécularisation. Ce phénomène, qui marque particulièrement et depuis plus longtemps les Eglises occidentales, concerne désormais, et de plus en plus, les Eglises de tous les continents. Des Eglises majoritaires, ou représentant une forte minorité dans la population, viennent nous interroger pour bénéficier de notre expérience en la matière. Parmi les Eglises aussi, la globalisation est à l’œuvre, et c’est à mes yeux une chance de vivre des relations fraternelles renouvelées, voire inédites : on n’est jamais Eglise tout seul.