Ranavalona II ne se contente pas d’être une reine de protocole. Elle inspire, elle oriente, elle appuie, fidèle à ses convictions.
La posture de la prophétesse se superpose difficilement avec l’autorité de la reine. En principe, on est l’une, ou l’autre, rarement les deux en même temps ! Mais il y a des exceptions. Les biblistes comme les sociologues savent que le cumul roi-prophète est ponctuellement possible. Surtout lorsque la tempête est là. C’est dans ce contexte troublé que naît et grandi la future reine malgache Ranavalona II (1829-1883). Sixième monarque à la tête de la dynastie régnante malgache, elle accède au pouvoir en 1868, et le conserve jusqu’à sa mort, le 13 juillet 1883. Mariée au puissant premier ministre Rainilaiarivony, elle va, avec lui, choisir de se démarquer de la politique longtemps conduite par sa tante, la reine Ranavalona Ière (1788-1861), qui s’était caractérisée par une ligne anti-occidentale, hostile au christianisme.
Un geste prophétique
La Grande Île malgache doit faire face aux appétits des puissances colonisatrices, à commencer par l’Angleterre protestante et la France catholique. Les relations sont asymétriques. Le différenciel de puissance militaire rend Madagascar vulnérable et fragile. Comment faire ? Comment moderniser le pays sans succomber à la vassalisation ? La nouvelle reine va faire un choix décisif, celui de se convertir au christianisme, et d’embrasser, avec son mari, la foi protestante. Aujourd’hui, la majorité de la population malgache est chrétienne. Mais seule une petite minorité l’était au moment de la conversion de la (future) reine malgache. Jamais une souveraine malgache ne s’était ostensiblement affichée comme chrétienne.
Geste prophétique ? En partie, oui. Si Ranavalona II ne saurait être définie comme une prophétesse, elle en revêt certaines caractéristiques dans son aptitude à bouger les lignes, voir plus loin, et choisir une foi différente. Cette « amazone du Seigneur » version malgache est baptisée avec son époux par le pasteur Andriambelo le dimanche 29 février 1869. C’est un coup de tonnerre ! D’autant que la grande reine Ranavalona Ière, sa tante, s’était au contraire illustrée en expulsant les missionnaires, et en persécutant les premiers chrétiens malgaches. Cette fois-ci, avec la conversion au protestantisme de Ranavalona II, le changement est profond.
La Bible, un enjeu de pouvoir
Comment comprendre ce virage ? La reine s’est-elle convertie par opportunisme ? Est-ce un choix politique afin de se concilier les bonnes grâces de l’Angleterre ? On ne peut exclure les calculs d’intérêt. Dans un contexte de montée des périls, la religion peut constituer un atout. La Bible est un enjeu de pouvoir, comme Françoise Raison l’a bien montré dans un livre remarquable[1]. Mais il serait réducteur de tout expliquer par la politique. Car avant d’être la reine Ranavalona II, celle qu’on appelait Ramona a fréquenté les premiers chrétiens malgaches. Elle avait participé à des réunions de prière clandestines, et reçu une éducation en partie protestante. Attachée à la Bible et son message, elle s’est en réalité convertie avant même son arrivée au pouvoir. Proche des milieux missionnaires protestants de la London Missionary Society, férue de prière, réputée fervente, elle a défié les usages et osé faire état publiquement de sa foi dès son couronnement, avant même son baptême. Première reine chrétienne et protestante de Madagascar, elle a fait placer ce jour là une Bible près d’elle, en lieu et place des fétiches. Trois pasteurs protestants malgaches se tiennent alors à ses côtés.
L’article que lui consacre le Dictionnaire biographique des chrétiens d’Afrique (online) rapporte que « sur les quatres côtés du baldaquin où se tenait la reine, étaient écrits en lettres d’or le texte biblique de Luc 2 v.14: Sur le côté sud: “Voninahitra any ny Andriamanitra amy ny Avo Indrindra” (Gloire à Dieu dans les lieux très hauts); sur le côté ouest: “Fiadanana amy ny tany” (Et paix sur la terre); sur le côté nord : “Fankasitrahana amy ny olona” (parmi les hommes qu’il agrée!); sur le côté est: “Andriamanitra no antsika” (Dieu est avec nous). »[2]
Ne pas être une reine de protocole
La foi protestante professée par la reine va, par la suite, infléchir la législation (suppression de la polygamie en 1881, prohibition de tout commerce d’esclaves), promouvoir le christianisme (qui revient religion officielle), l’éducation (assurée d’abord par missionnaires et pasteurs). La reine est loin de décider seule. Son mari, et premier ministre, assure en réalité l’essentiel du pouvoir exécutif. Mais Ranavalona II ne se contente pas d’être une reine de protocole. Elle inspire, elle oriente, elle appuie, fidèle à ses convictions. Le choix de la foi chrétienne et protestante ne suffira cependant pas à protéger Madagascar des appétits croissants des grandes puissances, particulièrement de la France, qui se prépare à faire entrer la Grande Ile dans la sphère francophone. Mécontente du patriotisme anglophile exprimé par la reine protestante, la République française demande à son armée, en 1883, de bombarder les principaux ports de Madagascar (Tamatave et Majunga). Le coup est rude. La souveraine meurt quelques mois plus tard, dans un climat crépusculaire. La France va bientôt s’imposer, supplanter l’Anglais, et tenter d’écarter la foi protestante, non sans une brutalité et une prétention dénoncée par le pasteur français Ruben Saillens dans un manifeste préfacé par Frédéric Passy [3]. La dynastie régnante va bientôt s’effacer. Une page se tourne. Mais la mémoire de Ranavalona II restera bien vivante, commémorant l’image d’une reine prise entre deux feux, qui osa le christianisme en version protestante et tenta de moderniser sans courber l’échine. Un programme qui n’a pas perdu toute actualité dans la Madagascar contemporaine, joyau fragile, toujours confrontée aux appétits prédateurs et au mal-développement.
[1] Françoise Raison Jourde, Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe siècle. Invention d’une identité chrétienne et construction de l’État, Paris, Karthala, 1991.
[2] Berthe Raminosoa Rasoanalimanga, article « Ranavalona II », site https://dacb.org/fr/
[3] Ruben Saillens, Nos Droits sur Madagascar et nos griefs contre les Hovas examinés impartialement, Paris, ed. Paul Monnerat, 1885. Le pasteur Saillens conclut cet essai en affirmant que « la France n’a aucun droit réel sur Madagascar », Nos Droits sur Madagascar, op. cit., p.100. Il soutient un peu plus loin que « les seules causes de la guerre actuelle sont, tout d’abord, la jalousie des jésuites français qui ne peuvent pardonner aux protesatnts d’être arrivés les premiers, et d’avoir conquis l’influence prépondérante à la cour et dans le pays », ibid., p.103.