S’il ne fallait retenir qu’une « amazone du Seigneur », ce serait sans doute la Congolaise Kimpa Vita (1684-1706), surnommée la « Jeanne d’Arc d’Afrique ».
Premier portrait de notre série de l’été : chaque semaine, des portraits de femmes africaines qui ont marqué leur pays. Douze « amazones du Seigneur ».
Tout a commencé avec Diego Câo, le capitaine de marine qui découvre l’embouchure du fleuve Congo en 1482. Une première rencontre s’opère dès la fin du XVe siècle entre Congolais et chrétiens européens, quelques années avant qu’un certain Christophe Colomb ne « découvre » l’Amérique. Un grand royaume Kongo incorpore alors la partie méridionale de l’actuel Congo Brazzaville, le nord de l’Angola actuel, ainsi que le sud-ouest du Congo RDC, auxquels il faut ajouter une partie du Gabon. Il comprend six provinces, et est dirigé par un souverain, le puissant Mani Kongo. Son influence s’étend jusqu’aux territoires voisins.
Première cathédrale au Congo en 1596
Pour les populations de la côte congolaise, ces explorateurs portugais, appelés mindele (blancs) sont associés à des revenants. Dans la cosmogonie locale, les ancêtres familiaux sont situés au fond de l’Océan. Persuadés d’avoir affaire à eux, les Congolais accueillent chaleureusement les caravelles européennes. Les Portugais, ravis, en profitent. Ils ramènent des échantillons, des cadeaux, ainsi qu’une délégation congolaise (des nobles de Soyo), qui les accompagnent lorsqu’ils retournent à Lisbonne. Quand ces derniers reviennent au Congo en 1485, leurs récits émerveillés décident le Mani Kongo à faire construire sur ces terres à la manière européenne. Un élan de modernisation du royaume aboutit à une réforme des institutions, des coutumes, des métiers et de la religion. Le roi réclame en particulier des prêtres catholiques, et décide de rémunérer lui-même les missionnaires. Pour l’Eglise latine de l’époque, la conviction se fait jour que le Congo est la porte d’entrée du christianisme dans le « continent mystérieux ». C’est par le Congo que la foi du Christ va grandir, jusqu’à rejoindre l’Ethiopie du Prêtre Jean, faisant barrage à l’islam. De fait, la christianisation connaît un essor rapide. Les conversions se succèdent, ainsi que les baptêmes, tandis que la catéchisation bat son plein. Une première cathédrale est construite au Congo en 1596. Mais ce mouvement de christianisation va se heurter, jusqu’au XIXe siècle, à trois écueils. D’une part, la difficulté d’atteindre la population de l’intérieur des terres. D’autre part, le trafic des esclaves, qui se développe de manière spectaculaire, avec l’aval de l’Eglise latine. A partir de 1530, plus de 5.000 esclaves sont envoyés chaque année vers l’autre rive de l’Atlantique. Au siècle suivant, ce sont 15.000 esclaves qui franchissent annuellement le « passage du Nord-Ouest ». Enfin, l’ambiguïté fondamentale d’une religion importée par des colonisateurs soucieux d’intérêts politiques et économiques.
Une prédicante de 20 ans
L’instabilité politique grandissante et la prédation européenne va susciter, au début du XVIIIe siècle, une réaction prophétique et messianique. Plusieurs femmes reçoivent des visions, dont Appolonia Mafuta (1704) . Mais c’est la voix de Kimpa Vita Nsimba qui porte le plus loin. Issue d’une famille aristocratique, elle porte pour nom de baptême Ndona Beatriz, ou Dona Beatrice. D’un tempérament mystique, elle commence à prêcher à l’âge de 20 ans.
Ancienne prêtresse du culte Marinda, elle tombe gravement malade (1704). A l’agonie, elle aurait reçu la visite d’un frère habillé en capucin, qui lui annonce être… Saint Antoine de Padoue. Quelques semaines plus tard, la nouvelle se répend : Kimpa Vita Nsimba est morte, puis ressuscitée grâce à Dieu et Saint Antoine de Padoue. Elle est sauvée, et appelée ! Sa mission surnaturelle : restaurer l’unité spirituelle du Royaume Kongo, conjuguant salut individuel et salut du Kongo.
En moins de deux ans, elle affine un enseignement original, ancré dans un référent chrétien réinterprété, et met sur pied une Eglise. Les foules affluent, aussi bien parmi les notables que le petit peuple. De multiples récits de miracles accompagnent la jeune prophétesse. Sarah Demart souligne que « comme les missionnaires, elle combat les vices et les supercheries, elle adapte des chants catholiques, elle envoie ses ambassadeurs dans toutes les parties du royaume, bref, elle organise de façon hiérarchique son Eglise. En même temps, elle exhorte les disciples à ne pas vénérer la croix qui a été l’ « instrument de la mort de Jésus ». Elle rejette les prescriptions fondamentales de l’Eglise catholique: le baptême, la confession, la prière et le caractère sacré du mariage (et donc la monogamie) »(1).
Elle correspond à la figure sociologique du prophète : elle ne reproduit pas l’enseignement de l’institution, mais en propose une réélaboration originale, présentée comme inspirée, qui met au défi le clergé en place au nom d’une révélation personnelle. En quelques mois, jusqu’à 80.000 convertis la suivent, suscitant la vive inquiétude du clergé catholique établi. Ceux-ci assimilent l’antoinisme de Kimpa Vita(2) à de la sorcellerie, mais cette dernière leur rend la politesse. Elle qualifie les capucins catholiques européens de Ndokis, « sorciers ». Et les foules tendent l’oreille. Jusqu’à l’épouse du Mani Kong, qui, dit-on, se serait ralliée à la prophétesse. Comme le souligne Georges Balandier, « Cette ascension rapide s’explique par la certitude, largement partagée, que le Dieu chrétien répond enfin à la longue attente angoissée des gens de Kongo »(3).
Brûlée vive, son enfant dans les bras
Mais lorsque Kimpa Vita vient à enfanter, les missionnaires européens saisissent l’occasion pour remettre en cause sa sainteté. La prophétesse dérange trop, elle menace les équilibres. En langue vernaculaire, Kimpa Vita veut dire « instrument de guerre ». Danger ! On parvient à la faire arrêter, on la livre au roi, et l’accusation commence, sous l’oeil des prêtres. « Comment Saint Antoine fait-il des fils ? » Avec la bénédiction du pouvoir portugais, la jeune femme est jugée, condamnée, puis brûlée vive à Divulu (Angola actuelle), avec son enfant dans les bras. Le bûcher consume la prophétesse et son fils le 2 juillet 1706. Le choc est immense. Deux ans plus tard, il faudra une armée de près de 20.000 soldats pour venir à bout des partisans de la prophétesse martyre.
Brûlée vive sur le bûcher avec la bénédiction des autorités catholiques locales, Kimpa Vita n’était pas « protestante » avant l’heure. Et encore moins francophone. Mais si elle inspire aujourd’hui beaucoup de Congolais, dont bien des protestants francophones, ce n’est pas par hasard. Condamnée au même moment où les troupes de Louis XIV, en France, répriment la révolte des Camisards en Cévennes, elle incarne aujourd’hui une figure chrétienne de résistance. Une prophétesse qui va jusqu’au bout. Hétérodoxe, sans doute ! Mais portée par une foi et un charisme qui l’ont conduite à défier le Goliath colonial portugais et catholique. Qualifiée dans un récent documentaire de « mère de la Révolution africaine »4, elle a inspiré des générations. Jusqu’en ce XXIe siècle où nombre d’Églises, de lieux, d’écoles et d’associations congolaises, francophones ou non, portent son nom.
(1) Sarah DEMART, Les territoires de la délivrance. Mises en perspectives historique et plurilocalisée du Réveil congolais (Bruxelles, Kinshasa, Paris, Toulouse), thèse de doctorat UCL / Université de Toulouse, 2010, p.70.
(2) Sur l’antoinisme de Kimpa Vita, l’ouvrage de référence est John THORNTON, The Kongolese Saint Anthony: Dona Beatriz Kimpa Vita and the Antonian Movement, 1684-1706, Cambridge University Press, 1998.
(3) Georges BALANDIER, cité par Sarah DEMART, ibid.
(4) Ne KUNDA NLABA, documentaire « Kimpa Vita, la mère de la Révolution africaine » (1H11), 2016