La Coupe d’Afrique des Nations, organisée au Gabon du 14 janvier au 5 février, a suscité un enthousiasme considérable, mobilisant notamment pasteurs et prophètes. Retour sur ces ferveurs collectives.
L’activité sportive existait sans doute déjà avant l’invention de l’écriture. Mais le sport moderne en tant que tel, structuré en clubs sur la base de compétitions régulières, est né beaucoup plus récemment. Les historiens du sport soulignent qu’il serait apparu au XVIIIe siècle, en Angleterre, avant de connaître un fort développement à la fois aux Etats-Unis et en Europe, puis de conquérir la planète. Sous l’angle de la sociologie, il faut signaler ici le rôle éminent du protestantisme.
Christianisme qui promeut l’initiative individuelle plutôt que la soumission, sur la base d’une discipline ascétique qui vise à exprimer, dans la vie quotidienne, le Soli Deo Gloria (à Dieu seule la gloire), le protestantisme s’est révélé, dès le XVIe siècle, sensible à la culture physique. Contrôler son corps plutôt que se laisser contrôler par lui, « offrir son corps en sacrifice vivant » (Romains 12, 1) plutôt que mépriser la chair, tels sont les objectifs des Réformateurs. Martin Bucer, à Strasbourg, a ainsi encouragé la culture physique, qui trouvera naturellement sa place dans le gymnase Jean Sturm. Cet intérêt nouveau pour la culture physique chez les protestants s’est déployé dans un contexte où l’humanisme de l’époque (notamment chez Rabelais) redécouvre également l’importance de prendre soin du corps. L’heure est à l’exercice physique, de manière à appliquer le vieux proverbe latin attribué à Juvénal : mens sana in corpore sano (un esprit sain dans un corps sain).
Christianisme musclé
Au XIXe siècle, outre-Manche et outre-Atlantique se développe un mouvement intitulé « christianisme musclé » (muscular christianity). Au sein des Églises protestantes, il entend réagir contre un christianisme jugé trop mou, trop éthéré, trop éloigné du corps. Les Églises, particulièrement en milieu de type évangélique, promeuvent alors la compétition sportive, créent leurs propres clubs, soutiennent les initiatives en direction de la jeunesse. On dispose aujourd’hui d’une abondante littérature scientifique qui permet d’éclairer les liens privilégiés entre culture sportive et protestantisme. Côté anglais et étasunien, c’est par exemple le cas des ouvrages de Donald E. Hall, Muscular Christianity (1994), T. Ladd, J.A. Mathisen, Muscular Christianity: Evangelical Protestants and the Development of American Sport (1999) ou C. Puttney, Muscular Christianity: Manhood and Sports in Protestant America, 1880–1920 (2001).
En France, le scoutisme, très populaire chez les protestants (qui l’ont initié), n’a pas peu contribué à démocratiser le sport et l’activité physique au sein de la jeunesse, comme nous l’a rappelé Arnaud Baubérot (1). Si l’on connaît assez bien les rapports entre protestantisme et sport en Europe et aux États-Unis, il en est autrement de la francophonie africaine. CelleFci est pourtant marquée, à la fois par une forte vitalité protestante, et par une croissance spectaculaire de ses activités sportives, en particulier dans le domaine footballistique. Qui aurait pensé, il y a 50 ans, que les grands clubs de football européens s’arracheraient à prix d’or de jeunes joueurs africains d’à peine 18 ans ? L’explosion des talents sportifs en Afrique subsaharienne suscite aujourd’hui intérêt, passion et ferveur, où le meilleur peut côtoyer le pire, mobiliser Dieu ou le diable, comme l’a rappelé Denis Müller dans un ouvrage publié en 2008 (2).
CAN : entre prophéties et pronostics…
Il faudra un jour écrire l’histoire de ces passions croisées où religion (protestantismes) et sport s’entrecroisent dans les ferveurs collectives. On relèvera, pour l’heure, que la toute récente Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football, organisée au Gabon du 14 janvier au 5 février 2017, n’a pas dérogé à la règle : bien des Églises, mouvements de jeunesse, pasteurs et prophètes se sont mobilisés, tantôt dans la prière, tantôt dans le pronostic, tantôt dans le soutien apporté aux Étalons du Burkina (nom de l’équipe nationale), aux Lions du Cameroun, aux Panthères du Gabon ou aux Éléphants de Côte d’Ivoire. Le football apparaît, du point de vue des prédicateurs, comme un inépuisable réservoir de métaphores sur l’esprit d’équipe, la persévérance ou la complémentarité. Il représente aussi, d’un point de vue pragmatique, un bon moyen d’encadrement et d’éducation pour la jeunesse. C’est aussi un vecteur d’unité et de passion collective, susceptible de contribuer à magnifier la « nation » comme aimée et bénie de Dieu. Lors de la Coupe d’Afrique des Nations 2012 déjà organisée au Gabon, un grand culte œcuménique, massivement suivi (notamment par les Églises protestantes – y compris Églises de Réveil – du pays), avait par exemple illustré l’enjeu d’unité que représente le soutien à l’équipe nationale, mais aussi l’accueil des autres équipes. Les pasteurs Francis Michel Mbadinga, Louis Mbadinga et Assoumou Glissant y avaient pris la parole dans ce sens.
Aux yeux des Églises, le football constitue enfin un enjeu social, et même politique, instrumentalisable par prophètes et voyants, au risque d’aboutir au « sport prétexte », pris en otage, y compris dans le but d’élargir son audience par des prophéties/pronostics. L’exercice, pour les prophètes, n’est pas sans risque ! Le pasteur et prophète camerounais Dieunedort Kamdem en a fait récemment l’expérience. Habitué des réseaux sociaux, il posta ceci, quelques heures avant le match Cameroun-Sénégal (28 janvier 2017) : « le match des lions cette nuit est interdit aux cardiaques… des problèmes plus profonds nous attendent au pays. Je vois la défaite des Lions. Je vous assure. Cependant je prie que Dieu nous donne la victoire par sa grâce car je suis aussi patriotique et la prière peut changer les choses en notre faveur ». Après la victoire… des Lions du Cameroun, le prophète a du effacer précipitamment sa prophétie imprudente, après s’être attiré une volée de critiques. D’autres polémiques ont vu le jour au Gabon, y compris au sujet de la mascotte de la CAN 2017, une panthère noire. Un collectif des pasteurs des Églises charismatiques de réveil du Gabon, conduit par le révérend Georges Bruno Ngoussi, de l’Église Internationale Nazareth, s’est ainsi publiquement insurgé contre le choix de la Mascotte officielle, qui représenterait en fait le symbole d’une loge franc-maçonne locale, l’ordre de la Panthère Noire…. Entre Dieu et le diable, le football africain n’en a pas fini d’électriser des Églises en plein essor, bouillantes de jeunesse et en quête d’espérance.
(1) Arnaud Baubérot, L’invention d’un scoutisme chrétien, Les Bergers et les Mages
(2) Denis Müller, Le football, ses dieux et ses démons, Labor et Fides, 2008