La Guyane est vivante ! L’actualité a rappelé, en ce printemps 2017, que ce grand département n’est pas juste là pour faire joli, sur la carte de la francophonie et de la France d’outre-mer.
La population de la Guyane aspire à faire mieux vivre la devise républicaine « Liberté Égalité Fraternité ». Ce qui passe par un rattrapage en matière d’investissements, d’infrastructures, de services publics, d’emploi des jeunes. Lors des mouvements de protestation qui ont agité le département, l’Église catholique a parfois été mentionnée. Pas les protestants.
La raison principale tient dans le caractère très minoritaire du protestantisme guyanais. Mais pas seulement. Car il est également trop méconnu. Lentement et difficilement implanté depuis le XIXe siècle, marqué par le rôle de l’Armée du Salut auprès des bagnards, une mission évangélique de Suisse romande (1932) puis des vagues missionnaires évangéliques et pentecôtistes, il rassemblerait au moins 30.000 personnes aujourd’hui, sur un total d’un peu plus de 250 000 habitants [1]. Trois caractéristiques le distinguent.
Disséminé
Il s’agit d’abord d’un protestantisme disséminé, à l’échelle d’un territoire de 83 534 km2 ont il faut rappeler qu’il représente, en superficie, le plus grand département français. Entre la côte et la capitale, Cayenne, et les immenses espaces de l’Amazonie, les Églises protestantes dessinent un archipel éclaté. Dans la forêt dense subtropicale, six ethnies amérindiennes vivent un évangélisme ou un pentecôtisme bien éloigné géographiquement (et théologiquement ?) des implantations côtières. La diaspora Hmong (venue du Laos et du Vietnam), très fortement implantée en Guyane, vit de son côté sa propre identité évangélique… De nombreuses populations évangélo-pentecôtistes venues du Surinam voisin, ou de Haïti, fonctionnent souvent sur le mode d’isolats néoprotestants sans grande proximité avec les autres acteurs. Beaucoup d’assemblées sont de petite taille, et peu répertoriées. Ce qui n’empêche pas l’essor parallèle, particulièrement à Cayenne, de communautés considérables. Une synthèse historique sur l’essor des megachurches (Églises géantes de plus de 2000 fidèles) [2] signale ainsi que l’Église de la Mission du Plein évangile de Guyane française conduite par Dominique et Annic Roellinger, encadrait en 2008 près de 3000 fidèles, à l’aide de 250 cellules de maison [3].
Diversifié
La seconde caractéristique du protestantisme guyanais est son extrême diversité, sous l’effet des réveils et missions évangéliques, pentecôtistes, charismatiques, qui nourrissent un kaléidoscope chrétien guyanais qui reste méconnu. C’est ce qu’a souligné un remarquable documentaire sur le protestantisme en Guyane, réalisé par Jean-Michel Trubert pour France 2 / Présence Protestante en 2013 [4]. Il évoque un « protestantisme fortement évangélique et ethnique qui évolue et se re-forme sous l’impulsion des nouvelles générations, plus ouvertes à la mixité religieuse et au dialogue intraprotestant ». Dans ce but de dialogue, la Fédération Protestante de France a créé un Pôle Guyane, installé le 28 octobre 2012. L’origine confessionnelle de ses responsables reflète une part de cette diversité protestante locale : Jean-Elisois Maignan, président d’honneur, est rattaché à l’Église protestante du Nazaréen; le président, Pierre Laurol, est affilié à la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes de Guyane; le trésorier, Stéphane Desmarais est quant à lui réformé. Gédéon international, la Ligue pour la lecture de la Bible, les GBUs, l’aumônerie des prisons sont également rattachés.
Le Conseil National des Évangéliques de France (CNEF), créé beaucoup plus récemment, prépare lui aussi de son côté une structuration locale, autour d’un délégué départemental. Mais il ne faut pas s’y tromper : la grande majorité du protestantisme guyanais, d’expression évangélique, pentecôtiste, charismatique, prophétique, n’appartient pas à ces pôles, et s’insère dans d’autres réseaux, ou demeure à l’écart des écrans radars.
Discriminé
Enfin, le protestantisme guyanais demeure, au côté d’autres religions d’ailleurs (religions traditionnelles améridiennes, religions syncrétistes afro-latines, islam…), une minorité en partie discriminée par rapport à l’Église catholique, qui dispose toujours de privilèges néo-coloniaux. Les Églises protestantes de toutes tendances disposent certes de la liberté de réunion et d’association, et toute liberté est donnée aux protestantismes de développer leurs activités, dans les limites de la loi commune. Mais le principe d’égalité n’est pas complètement respecté. La loi de 1905 qui sépare les religions et l’État ne s’applique en effet pas en Guyane. Le catholicisme reste le seul culte reconnu et financé : les prêtres catholiques sont toujours salariés par le Conseil général, via l’impôt des citoyens. En dépit de tentatives, ces dernières années, pour mettre fin à cet héritage d’un autre âge qui remonte… au roi Charles X (1828), les Églises ne sont donc pas sur un pied d’égalité. De quoi nourrir les discours de celles et ceux qui proclament que, décidément, la Guyane a besoin de réformes…, y compris dans la gestion locale du religieux.
[1] Le nombre dépasse sans doute les 300 000 habitants en intégrant toutes les populations en situation irrégulière, particulièrement nombreuses dans ce département. Avec pondération à effectuer aussi pour les statistiques protestantes.
[2] Sébastien Fath, Dieu XXL, La révolution des megachurches, Paris, Autrement, 2008, p.146.
[3] “Pourquoi je crois au G12”, entretien avec Dominique Roelliger, Christianisme Aujourd’hui, janvier 2008, p.22-23.
[4] Documentaire « Protestants en Guyane », volets 1 et 2, présence Protestante (France 2), de Jean-Michel Trubert (réalisateur) et Taïs Lydie Roshem.