Entretien avec le pasteur Gilbert Léonian, huit mois après l’incendie du temple évangélique arménien d’Alfortville.
En quelques mots, quelle est votre histoire et celle de votre famille ?
Mes grands-parents sont nés en Cilicie (La Petite Arménie). Ils ont fui le terrible génocide de 1915. Ils sont arrivés à Marseille en 1924. Mes parents sont nés en France. J’ai grandi dans une famille œcuménique (apostolique et catholique) dans laquelle j’ai reçu beaucoup d’amour. J’ai découvert l’évangile à 14 ans dans les Cévennes, au sein d’un centre de vacances dirigé par les Pasteurs de l’église évangélique arménienne. A l’âge de 16 ans je fréquente pour la première fois une église évangélique arménienne, à Saint-Loup (Marseille), qui est devenue ma famille spirituelle. A l’âge de 19 ans, suite à un appel personnel, je me retrouve à la faculté de théologie de Vaux-sur-Seine, afin de me préparer au ministère pastoral. A 23 ans je termine mes études de théologie. Le même été, je me marie avec Léa Mikaélian qui venait de terminer une année d’étude à l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne. Nous avons 3 enfants et 6 petits-enfants. J’ai 67 ans. A ce jour avons exercé notre ministère pastoral pendant 44 ans dans 10 paroisses, de Marseille à Paris. Actuellement nous sommes en poste dans la région parisienne à Alfortville(94).
Au fil de vos responsabilités dans les Églises évangéliques arméniennes de France, quelles ont été vos plus grandes satisfactions ?
La joie et le privilège de servir Dieu en temps que Pasteur au sein de l’Union des églises évangéliques arméniennes de France biculturelle. Cela est pour moi source d’équilibre et d’épanouissement. En 1996 j’ai eu l’occasion de participer à l’organisation à Issy-les-Moulineaux du premier rassemblement des évangéliques arméniens depuis le génocide de 1915, à l’occasion des 150 ans de la naissance de la première église évangélique arménienne à Istambul en 1846. Nous étions 750 délégués de 15 pays de la diaspora, dont l’Arménie.
Mes études à Vaux-sur-Seine m’ont beaucoup enrichi dans de nombreux domaines: tant théologique que spirituel. En plus des études de qualité, elles m’ont ouvert aux autres familles évangéliques, au travers la diversité ecclésiale et culturelle des étudiants. Ces liens d’amitié, de confiance et de fraternité m’ont accompagné tout au long de mon ministère.
La création du CNEF en 2010 me réjouit beaucoup. Elle est comme la concrétisation de ce profond désir d’unité de la grande famille évangélique, qui nous permet de sortir du danger du repli identitaire.
Les nouvelles opportunités d’annoncer l’évangile dans l’espace public sont nombreuses. Trois temps forts m’ont stimulé et équipé dans mon audace de témoin de l’évangile en France :
Septembre 1986 : Mission France avec Billy Graham à partir de Bercy dans 33 villes de France
Juillet 2011 : le Festival de Gospel avec Luis Palau sur la plage du Prado à Marseille
Novembre 2017 : les 500 ans de la Réforme protestante à Alfortville dans la salle municipale.
Le temple dont vous êtes pasteur a été incendié au printemps 2017. Que souhaitez-vous dire à ce sujet ?
Cette épreuve a été l’une des plus traumatisantes de ma vie. J’ai vu la mort en face. Mais Dieu a changé le mal en bien. Sept mois après, en prenant du recul je me rends compte combien Dieu est grand et bon. C’est lui qui nous a protégés. Le mouvement de solidarité a été fabuleux tant en France qu’à l’étranger. Nous n’avons jamais autant eu d’opportunités de témoigner de notre foi en Dieu: tant dans le quartier, qu’auprès des voisins, des élus et dans de nombreux médias: aussi bien chrétien que laïcs. Nous pardonnons aux auteurs de cet acte criminel. Nous condamnons leur geste. Mais nous prions afin que Dieu les conduise, à se repentir et à connaître la vie nouvelle en Jésus-Christ.
Les Églises arméniennes évangéliques en France sont francophones. Quelle est la part jouée par la langue arménienne ?
Avec ma génération, qui est la troisième, nous arrivons à un tournant. Les nouvelles générations ne connaissent presque plus la langue arménienne. Si nous la conservons dans certaines églises, c’est surtout pour faire connaître le message de l’évangile aux nouveaux arrivants d’Arménie ou ceux qui fuient la guerre du Moyen-Orient.
Nous sommes confrontés à un choix difficile. Nous avons besoin de sagesse : faut-il ou non garder des cultes bilingues ainsi que la consonance « arménienne » à la fin du nom de nos églises ? Le débat est ouvert. Il est chaud et controversé.
Quelles relations entretiennent aujourd’hui les Églises évangéliques arméniennes avec l’Arménie ?
Nos liens se sont consolidés depuis le tremblement de terre du 7 Décembre 1988 et surtout depuis l’indépendance de l’Arménie le 21 Septembre 1991. L’Association « Espoir pour l’Arménie »créée en Avril 1989 est le trait d’union entre nos églises et l’Arménie. L’Arménie reste le sol nourricier de nos racines culturelles et spirituelles. L’Arménie est un musée à ciel ouvert de la foi chrétienne.
Existe-il des Églises protestantes arméniennes francophones hors de France, et si oui, quelles relations entretenez-vous avec elles ?
C’est essentiellement en France que ces églises existent. A Bruxelles et à Montréal nous avons au sein des églises évangéliques arméniennes, une section francophone.
Comment se vit la musique dans les Églises évangéliques arméniennes de France : quels sont les répertoires utilisés ?
Depuis une trentaine d’année nous utilisons comme cantique de référence un cantique bilingue arménien-français, avec des chants essentiellement traduits de l’hymnologie anglo-saxonne ou des Ailes de la foi. Pour les jeunes générations un cantique spécifique à l’Union Chrétienne des Jeunes Arméniens(UCJA) a été édité avec des chants tirés de Jeunesse en Mission, d’Exo ou de chants en arménien transcrits en caractères français.
Ces dernières années, lors du culte, des groupes de louange ont été créés dans chaque église de l’Union. Ils ont à leur répertoire des chants d’auteurs contemporains : comme Luc Olivier, Impact…. Ils utilisent aussi des chants en arménien venus des églises d’Arménie ou du Moyen Orient.