A la découverte du livre « Femme chrétienne et antillaise », paru aux Editions Farel.
« Il est courant dans la littérature antillaise de lire des textes qui rendent hommage à la femme antillaise », fait observer le sociologue Jean-Claude Girondin (p.7). Publié sous sa direction, un ouvrage original nous propose aujourd’hui de revisiter cette thématique avec l’apport de la théologie, des sciences sociales et des récits de vie. Il s’intitule Femme chrétienne et antillaise, vers une identité restaurée (ed. Farel, 2017, 180 pages)
Une des originalités de ce recueil de textes est qu’il est en majeure partie écrit par des femmes antillaises, auxquelles le directeur de la publication a largement donné la plume. Cela en valait la peine ! « Le but de ce livre, n’est pas de rendre hommage à la femme chrétienne antillaise, mais de lui donner la parole, de reconnaître sa place dans l’église », que ce soit aux Antilles ou en France hexagonale (p.9). Mission accomplie.
La première partie de l’ouvrage brosse le contexte historique qui est celui des femmes antillaises, ancré dans l’héritage de la Traite et une spiritualité magico-religieuse tournée vers l’efficacité. L’auteur, Jean-Claude Girondin, inscrit le rôle social des femmes antillaise dans « la petite et la grande histoire », marquées en particulier par l’empreinte indélébile de l’esclavage et de ses conséquences (p.15 à 35). Le registre magico-religieux entretenu par le quimboiseur (sorcier/devin), est ensuite étudié en miroir avec la différence chrétienne (p.35 à 56). Cette dernière contribue à dépasser fatalisme, victimisation et jalousie, au profit d’une responsabilisation et d’un désangoissement de l’acteur. Servies par une plume élégante et des références fournies, perspective théologique et apologétique cohabitent ici avec anthropologie culturelle. La parole est également donnée aux converties, membres d’Eglises évangéliques antillaises. Elles soulignent l’impact libérateur d’une spiritualité chrétienne vécue comme pacifiante et rassurante.
Bondyé Toupwisan
La seconde partie est intitulée « Partager son expérience personnelle avec Dieu » (p.57 à 94). Elle s’ouvre par la contribution de Dothy Marie, aumônière de prison rattachée au mouvement Femmes 2000, confrontée tous les jours à des enjeux brûlants dans un univers carcéral où bouillonnent les aspirations spirituelles. Esther Hamlet poursuit par un témoignage ancré dans le milieu scolaire. Après une carrière d’enseignante, cette dernière a donné une nouvelle forme à son désir d’engagement chrétien après sa retraite, en s’investissant dans la « relation d’aide », particulièrement en direction du soutien aux enseignants chrétiens confrontés au découragement. Léa Lénor ferme ensuite le ban. Elle affirme « Bondyé Toupwisan é i vivan » (Dieu est Tout-Puissant et il est vivant). Psychologue, chrétienne, marquée par une difficile épreuve familiale (santé de son époux), elle témoigne du rôle faîtier joué par la foi chrétienne face à l’adversité.
Une troisième et dernière partie, intitulée « En mission dans l’église, dans le couple et le monde pour Dieu », se déploie des pages 95 à 166. Béatrice Sorrente commence par retracer la généalogie de l’identité meurtrie des femmes antillaises. En 18 pages rondement menées, elle rappelle que « les maîtres, alors même qu’ils se disaient chrétiens, s’octroyaient un droit de cuissage sur toutes les femmes esclaves, reniant totalement les principes du christianisme », tandis que les « mâles esclaves » étaient relégués au « rôle d’étalons de reproduction » : les colons enlevaient de ce fait « toute responsabilité à l’esclave vis-à-vis de la famille » (p.107). Mêlant histoire, théologie et psychologie, elle brosse des chemins de restauration dont la musicologue Ruth Labeth propose ensuite un exemple, à travers « le service dans l’Eglise », via une créativité au féminin trop longtemps négligée (p.117-217). A sa suite, Gaëlle Balzinc-Bösiger partage son témoignage d’officière dans l’Armée du Salut (p.129-141). Elle s’attache à y articuler action sociale et exigence spirituelle, « car Christ nous demande d’aider et d’aimer notre prochain » (p.140). Le théologien et auteur Alain Nisus, longtemps dogmaticien à la Faculté Libre de Théologie Evangélique de Vaux-sur-Seine, apporte ensuite son expertise au service de « relations harmonieuses au sein des couples antillais », à partir d’une étude de l’Epître aux Ephésiens (chp 5 :22-33). A l’image de l’enseignement néotestamentaire, qui propose « l’Evangile injecté dans une structure patriarcale », Alain Nisus invite les couples antillais à l’audace de l’engagement, « dans une société qui croit peu au couple et au mariage » (p.153). S’inspirant de Paul Ricoeur et de sa mise en tension entre le « monde du texte » et le monde réel dans lequel nous évoluons, Karen Reine-Prudent plaide enfin pour un témoignage personnel qui rende plausible les propositions bibliques qui nourrissent la foi personnelle.
Famn Doubout en route
La conclusion, intitulée « Fanm Doubout en route », récapitule la richesse du livre, un « vrai jardin créole où tout se mélange » (p.167), et invite à aller plus loin, en saluant la capacité des « femmes antillaises, de par leur histoire douloureuse et leur capacité de résilience (…) à produire de la beauté, de la vie et de la richesse avec ce qui génère de la souffrance » (p.170). Pour continuer le chemin, une ample bibliographie nous est généreusement proposée (p.171-178). Merci aux auteur(e)s !