Dépasser les différences tout en préservant son identité… Entretien avec l’auteure Josepha Faber Boitel.
Docteure en lettres, pédagogue passionnée par son métier de professeure de lettres modernes, chercheuse, plasticienne, auteure, Josepha Faber Boitel a plus d’une corde à son arc[1]. Très investie sur le terrain dans les enjeux de vivre-ensemble, de partage et de laïcité, elle a signé, aux éditions Farel, un ouvrage roboratif, entre sagesse, art de vivre et spiritualité. Ce livre est intitulé Retrouver du plaisir à vivre, travailler, partager (2017). Elle nous en dit plus.
Josepha Faber Boitel, vous êtes une pédagogue engagée. Pourquoi avez-vous voulu écrire ce livre ?
Au-delà des savoirs et savoir-faire je m’attache à la transmission des savoir-être pour agir au service du bien commun et du progrès, dans le cercle privé et l’espace public. Je désirais offrir des clés pour un « mieux vivre ensemble » quotidien. Or pour dialoguer avec l’autre il est nécessaire de se connaître soi-même, de surmonter ses peines, de se soustraire aux pressions mondaines. Ce livre accompagne celui qui cherche une sérénité durable en proposant à chacun de devenir apprenant-acteur de son propre bien-être spirituel et communicationnel.
Vous plaidez pour un certain art de vivre, une capacité de prise de recul. Or les protestants, et les évangéliques en particulier, ne sont pas toujours réputés pour l’intérêt qu’ils portent à une spiritualité contemplative… Où avez-vous puisé vos références ?
Mes références viennent d’un héritage familial original. Un melting-pot culturel et cultuel alliant méditation d’inspiration bouddhiste, étude systématique des textes et dialogue constant entre protestantisme (de sensibilité réformée), judaïsme et catholicisme. Mes lieux de pensée favoris sont devenus au fil de mon adolescence le désert et le Cénacle. Peu à peu la pratique de la contemplation et de l’oraison intérieure s’est installée en moi, je suis d’ailleurs liée à la famille carmélitaine.
Lectio Divina, étude biblique, étude de la Torah mettent en œuvre une même dynamique : le croyant désire comprendre le texte et prendre conscience de ses diverses interprétations, mais il souhaite surtout s’imprégner du message pour être transformé de l’intérieur. Il est vrai que les chrétiens évangéliques sont réputés pour leur louange et le dynamisme de leurs cultes. Ils n’en sont pas moins sensibles au silence et au recueillement.
Lors du colloque FLTE (Faculté Libre de Théologie Évangélique) « Chances et défis des Eglises multiculturelles » (mars 2014), après mon intermède poétique « Voix de la multiculturalité », lors de la table ronde, j’ai souligné l’intérêt qu’auraient les communautés multiculturelles à redonner une place de premier plan au silence comme outil d’expression liturgique. Le silence amoindrit les différences rituéliques, laisse le temps de réflexion nécessaire à l’appropriation personnelle de la Parole et ouvre un espace d’accueil à l’Esprit du Père dans l’intimité du cœur.
Votre approche n’est pas étroitement confessionnelle. Elle prend en compte la diversité des options, et illustre votre attachement à la laïcité. Vous avez consacré à cette dernière un « arbre » en vitrail. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je réfléchis sur tout ce qui fait du lien social au cœur de la République, notamment le rapport aux symboles qu’ils soient sacrés ou profanes. Le vivre-ensemble est un enjeu transversal du pouvoir laïc et du fait religieux. La dynamique de régulation de ce dernier par l’Etat est étroitement liée aux évolutions de la constellation religieuse française. Celle-ci se diversifie sur les plans interreligieux, œcuménique et intra-communautaire.
J’ai eu le plaisir et l’honneur d’animer une « Rencontre-Atelier », sur un trimestre, dans l’école primaire publique de mon quartier : « Art et symboles au service de la République : création d’une œuvre intitulée L’Arbre de la laïcité ». Ce fut l’occasion de participer en tant qu’enseignante et artiste-plasticienne à la construction d’un imaginaire collectif. Ces enfants étaient en plein apprentissage des représentations de la République et sensibles aux problèmes écologiques.
A partir de l’analyse menée avec leur maîtresse sur la Charte de la laïcité et le respect de l’environnement, l’idée d’un arbre symbolisant l’union de tous par la devise républicaine est né. Une trentaine d’arbres ont été dessinés par les élèves, puis je les ai rassemblés en un arbre unique complété par un chemin de verdure menant au drapeau français, sous la forme d’un vitrail.
Enseignante, conférencière, blogueuse, plasticienne, auteure, vous êtes très créative. Pouvez-vous nous parler de vos prochains projets ?
J’ai toujours été très intéressée par les démarches qui cherchent à dépasser les différences entre les cultes tout en préservant leur identité. Je m’appuie sur la transversalité de figures comme les prophètes, Marie et des symboles communs aux religions du Livre… Ma démarche personnelle est celle d’un « consensus différenciant » à travailler sur le plan œcuménique et interreligieux. J’ai répondu favorablement à la sollicitation de « Bible et Rencontre » pour participer à leur cycle de conférences à trois voix (Christianisme, Judaïsme, Islam) en 2018-2019 sur les thèmes de la parentalité et de la transmission.
Suite à ma conférence à l’AG 2017 de l’AFP Nationale (Association Familiale Protestante) concernant les chrétiens et la parentalité dans une société sécularisée, je commence une collaboration avec le magazine Family qui offre, par sa double formule, un souffle spirituel aussi bien aux croyants qu’aux non-croyants.
La mémoire des lieux impacte notre expérience. Dans votre géographie personnelle, entre région parisienne, Caraïbes, Morvan, y-a-t il des espaces qui vous ancrent et vous ressourcent particulièrement ?
J’ai trouvé dans le Morvan un cadre idéal de retraite et de construction mémorielle familiale : ce lieu est l’occasion d’une démarche de pleine conscience concernant l’appréciation de la nature, des rapports sociaux réhumanisés, du silence propice à la réflexion et à l’écriture. Paris a été le lieu de ma naissance, de ma formation, de mon émancipation, j’y retourne régulièrement. La capitale reste mon lieu de transmission favori avec mes enfants et mon mari car c’est un creuset multiculturel. Quant à la Guadeloupe, terre nourricière d’une partie de mon imaginaire, l’archipel garde les secrets de mon histoire familiale et éveille une douce nostalgie associée à l’image de ma grand-mère.
Quel regard portez-vous sur la francophonie protestante aujourd’hui et sa créolisation, entre Antilles et hexagone ? Quels sont les enjeux qui vous tiennent à cœur dans son évolution ?
Il y a une créolisation qui touche particulièrement les milieux évangéliques ou plus exactement une afro-créolisation. Je me réjouis de la création de l’ITEAG (Institut de Théologie Evangélique des Antilles et de la Guyane) dans ce contexte. Le profil du chrétien francophone se complexifie avec pour résultante deux impératifs.
Il s’agira d’une part d’éviter la stigmatisation de fidèles. L’objectif étant d’empêcher une opposition dans l’esprit des croyants et de leurs observateurs laïques entre cultes charismatiques marqués communautairement et cultes réformés connotés « vieille-souche ».
D’autre part, et c’est ce qui me tient le plus à cœur, un chantier de réflexion et d’action a été ouvert et doit être poursuivi concernant ce qu’on pourrait appeler le « pilier féminin ». La femme créole potomitan (« poteau du milieu », « pilier de la maison », cf. Jean-Claude Girondin) reliée à la figure d’une Marie potomitan (« facilitatrice de dialogue », « réconciliatrice », cf. Anne-Cathy Graber) nous offre un archétype de la part que les femmes doivent se réapproprier dans la société et le temple mais aussi dans l’œcuménisme et l’interreligieux.
[1] Voir le site internet de l’auteure : https://www.josephafaberboitel.com/