Difficile de s’ennuyer quand on est pasteur à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Issa Zagré, pasteur pentecôtiste au Temple Emmanuel, nous fait découvrir son tableau de bord.
Entre des assemblées ferventes et très organisées, l’encadrement des jeunes, la cohabitation avec l’islam (majoritaire dans le pays), la concurrence des pasteurs auto-proclamés, les défis sont multiples.
Pouvez-vous présenter votre parcours ?
Je me nomme Issa Zagre, je suis pasteur dans sein de l’Eglise des Assemblées de Dieu du Burkina Faso. Je suis né dans une famille musulmane. Depuis l’enfance, comme tout bon enfant, j’ai suivi mes parents à la mosquée, nous pratiquions l’islam. Je vivais à Koudougou à une centaine de km de Ouagadougou, j’ai fréquenté l’école primaire là-bas, puis j’ai été au premier cycle à Kaya, à 110 km au Nord de Ouagadougou, jusqu’au BEPC, puis j’ai été étudier dans un établissement catholique tenu par les frères de la sainte famille, jusqu’au baccalauréat. Après le bac D, j’ai été orienté à l’université de Ouagadougou, où j’ai fait des sciences économiques, j’ai obtenu un DEUG en sciences économiques, et là j’ai reçu l’appel pour le ministère.
Mais pourquoi cet appel au pastorat ? Vous n’étiez pas musulman ?
Ma famille était musulmane et ouverte. Mon frère Soungalo s’est converti à la foi chrétienne en premier. Il nous a souvent parlé de sa foi, il a beaucoup prié pour la famille. Plus tard, je m’intéressais de plus en plus à Jésus-Christ, et je me suis converti lors d’une campagne d’évangélisation dans un quartier de Ouagadougou, conduite par le pasteur Sawadogo, président des Assemblées de Dieu du Burkina Faso. C’était en 1986. Ma scolarisation chez les catholiques a un peu contribué aussi à ma conversion. J’avais des amis parmi les frères de la Sainte Famille, et tout étant musulman, j’avais suivi le catéchisme là-bas, tout en refusant d’être baptisé comme ils l’auraient souhaité.
Revenons à l’appel au « ministère », comment cela s’est passé ?
J’ai commencé par m’engager dans l’église pentecôtiste où j’étais, puis, après un projet de formation en France qui n’a pas fonctionné, j’ai connu un temps de remise en question, de prière, et j’ai reçu des révélations de la part du Seigneur. Je me souviens, j’étais dans une salle de classe, et le Seigneur m’a parlé, et m’a dit : « fais tes études ici pour avoir une formation biblique, oriente-toi vers le ministère ». Dans le même temps, un institut biblique supérieur s’était juste ouvert à Ouagadougou : j’ai fait partie de la première promotion, et me suis formé là durant trois années. Cet institut a évolué et est devenu aujourd’hui la Faculté de Théologie Evangélique. Après mes trois ans d’institut biblique, j’ai effectué deux ans de stages dans le quartier 12 000 logements de Ouagadougou, où se trouve le Temple Emmanuel, inauguré en 1991, où je suis toujours pasteur aujourd’hui.
Comment se déroule ici une « semaine type » pour un membre d’Eglise ?
Du lundi à samedi, tous les matins, nous avons prière matinale. Nous avons une salle de prière dédiée, et nous nous réunissons de 5H30 à 6H15. Une vingtaine de personnes viennent. Le mardi soir à 18H30, nous avons réunion d’étude biblique. On a aussi des cellules de maison, réunies les mercredis, certaines à 18H30, d’autres à 19H, et le vendredi, il y a réunion de prière de 18H30 à 20H. Et le dimanche bien-sûr, , nous avons la leçon du dimanche en français de 7H30 à 8H, de 8H à 10H le culte en français, et de 10H à 12H, le culte en mooré (langue des Mossi, ethnie principale à Ouagadougou).
Tous les dimanches à 16H, notre église assure aussi un enseignement pour les nouveaux convertis. Le lundi à 18H30, nous avons par ailleurs une réunion du comité d’intercession pour prier dans la salle de prière. La chorale organise ses répétitions les jeudis et vendredis soir. A côté de cela, les membres sont aussi engagés dans différents comités, comité visite, visite des malades, des nouveaux convertis, parking, service d’ordre, médias. Chacun s’implique en fonction de son appel. On s’est aussi organisés pour la prière. En dehors de la prière matinale, l’Eglise des ADD a développé quatre grandes associations. Les femmes se rassemblent dans l’ASC, Association des servantes de Christ, (niveau local, régional, national). Les hommes se retrouvent dans le MHEB (Mouvement des Hommes), les jeunes, dans la JAD, et il existe aussi le DENAD, département des enfants. Des jours de prière sont organisés pour chaque association. Le lundi, c’est le MHEB, de 8H à 14H. Chacun s’organise. Trois tranches sont mises à disposition pour prier, de 8H à 10H, de 10H à 12H, de 12H à 14H. Pour la JAD, c’est le mardi et jeudi, de midi à 14H. Pour les femmes, c’est mercredi à vendredi. Prier, intercéder pour la nation, pour les missionnaires, c’est très important.
A Ouagadougou se sont développées beaucoup de nouvelles Églises…
Il y a de tout. Un exemple : un Burkinabè installé en Côte d’Ivoire, qui travaillait dans les spectacles, s’est converti là-bas. Quand il est venu ici à Ouagadougou, il a fréquenté mon église. Il était assez orgueilleux, il voulait prêcher et devenir pasteur. Il voulait être reconnu. Le pasteur principal étant son oncle, il souhaitait utiliser cet avantage pour être un leader. On lui a dit, « non, ce n’est pas comme cela que ça marche ». Il lui fallait se former, aller à l’institut biblique. Les ADD ne l’ont pas autorisé à être pasteur sans formation. Mais pour cet homme, rester assis, c’était insupportable. Alors, il a commencé à venir moins souvent. Puis un beau matin, il a disparu. Nous avons appris qu’il avait créé une église dans un autre quartier de Ouagadougou. Elle existe toujours. Il a ouvert une station radio, la radio Jam. Il avait gardé des relations avec la Côte d’Ivoire, il faisait beaucoup de bruit. Il s’est auto-promu « Bishop » (évêque). Derrière le show, il n’y a pas grand-chose. Les rares fois où on l’entend prêcher, on a honte, on a envie que les gens n’entendent pas ça. Aujourd’hui, il y a liberté de culte, mais il suffit qu’on dépose un nom, qu’on déclare à l’administration, et on est reconnu. Cela favorise les débordements. Il y a deux ans, un groupe qui fait la « délivrance » s’en est pris à un enfant. Ils l’ont frappé pour faire partir le démon. L’enfant est mort. Et cela jette le discrédit sur tous les protestants. Ce n’est pas normal. Il faut insister sur la formation, et encourager des structures comme la FEME (Fédération des Eglises et Missions Evangéliques) à veiller. Cela dit, beaucoup de nouvelles églises ne posent pas de problème, comme dans le cas des églises rattachées au ministère de Mamadou Karambiri, qui s’est d’ailleurs rattaché à la FEME.
Et qu’en est-il des relations avec l’islam, d’où vous êtes sorti vous-même ?
Cela dépend. Globalement, nous faisons beaucoup d’évangélisation. En tant qu’ADD, nous avons sept écoles bibliques, et chaque année, des centaines d’étudiants en sortent et sont reconnus comme pasteurs. En Côte d’Ivoire, ensuite, l’Eglise nationale les affecte. Ici, cela ne fonctionne pas du tout comme cela. Quand les étudiants sortent, ils doivent essayer de trouver un poste. Souvent, ils ne trouvent pas, et alors, ils doivent créer eux-mêmes leur propre future église. C’est un puissant moteur d’évangélisation, y compris en direction des musulmans. A mon avis, cela « marche » bien mieux que les grandes campagnes d’évangélisation coûteuses, même si je n’ai rien contre. Quand les musulmans que nous atteignons se convertissent, cela peut se passer sans difficulté. Dans ma famille, et dans d’autres, cela n’a pas posé de problème. Mon père, qui est allé à la Mecque, ne s’est pas opposé à ma conversion, il a été tolérant.
Les conversions passent souvent par les jeunes, et par les femmes. Certaines pratiques contraignantes de l’islam rebutent, et facilitent le choix de l’Evangile. On sent qu’il y a besoin, les conversions ne sont pas rares. Mais beaucoup de femmes converties viennent clandestinement, y compris ici (Temple Emmanuel). Elles disent : « si mon mari me trouve, je suis morte ». C’est une des raisons qui fait que nos cultes, le dimanche, commencent tôt (8H, ou parfois 7H30). Elles disent à leur mari qu’elles vont au marché. En fait, elles vont à l’église écouter l’Evangile. Elles peuvent aussi sortir du culte plus tôt, pour qu’elles rentrent à l’heure, sans éveiller les soupçons du mari.
Nous avons une annexe, dans le Nord musulman, dans le village Sabouna, à 90% musulman, où il y a des conversions. On est allé y faire une évangélisation et par la grâce de Dieu, on a pu ouvrir une église, même une école primaire. Depuis 3 ans, au niveau des résultats, cette école a les meilleurs résultats de la circonscription. Le village est à 90% musulman, mais les parents musulmans envoient les enfants à l’école chrétienne, car l’enseignement est très bon. Au niveau des parents, c’est plus compliqué. Une femme de là-bas, épouse d’un dignitaire musulman, s’est convertie et s’est fait baptiser en cachette. Mais si quelqu’un dans son entourage voit cela, elle est morte. Quant aux enfants, il leur arrive d’entendre : « si tu te convertis, on ferme les robinets des finances ». Ce n’est pas toujours simple mais nous croyons que Dieu est vivant et qu’il veille sur ses enfants.