« En France, on parle du réchauffement climatique ; ici, on le vit tous les jours ».
Peuplé d’environ 17 millions d’habitants, le Burkina Faso est un pays d’Afrique centrale placé sous le triple sceau de l’agriculture, d’une grande vitalité religieuse communautaire, et du réchauffement global. Comment les enjeux discutés à Paris dans le cadre de la COP21 sont-ils perçus ici ? Les protestants évangéliques, qui représentent environ 10% de la population, sont présents sur le terrain, dans les villages. Ils sont regroupés, dans leurs actions sociales, au sein de l’ODE (Office de Développement des Églises évangéliques). Son nouveau directeur des affaires financières (voir photo), accompagné d’un spécialiste d’agronomie, a répondu à nos questions.
Comment fonctionne l’ODE au Burkina Faso ?
Nous sommes constitués en ONG chrétienne à but non lucratif, créée le 12 août 1972. Notre désir commun, avec la FEME (Fédération des Eglises et Missions Évangéliques) est de manifester l’amour du prochain, selon le commandement du Christ, de manière concrète. Pour cela, nous avons développés au Burkina Faso de multiples programmes dans le domaine agricole, médical, éducatif, communautaire, hydraulique. Notre approche est holistique. Elle vise la promotion d’un développement intégral, responsable et durable. La foi chrétienne produit des œuvres (épître Jacques). Nous sommes là pour agir de manière pratique, en commun. Nous travaillons avec de multiples partenaires (Tear Fund, Solidarité Protestante, Christian Aid, MCC etc.). Nous avons par exemple fait construire de nombreux dispensaires et pharmacies, deux centres de dépistage VIH/SIDA, plus de quinze barrages et retenues d’eau qui ont généré une hausse du revenu agricole dans de nombreuses communautés, permettant de réduire la pauvreté. Nous encourageons aussi le développement de la microfinance autonome, les filières locales de formation qualifiante, et avons fait creuser de très nombreux puits. Paix, justice, solidarité sont des fruits de l’Évangile. Nous y travaillons et il y a beaucoup à faire .
Que pensez-vous du réchauffement climatique ? Est-ce une réalité ici ?
Oui nous sommes très affectés par ce phénomène. En France, à la COP21, on parle du réchauffement climatique, ici, on le vit tous les jours. Sur le plan des saisons, au Burkina, dans le Nord, la saison des pluies a toujours commencé autour du mois de juin, pour se finir en octobre. Depuis quelques années, la pluie ne débute que mi-juillet. Et elle finit plus tôt qu’avant. Avant, on pouvait alterner les crises alimentaires. Maintenant, la crise alimentaire, c’est chaque année. Une autre manifestation du réchauffement, c’est que nos animaux d’élevage, vaches, bœufs, développent davantage de maladies. L’herbe sèche plus vite, la digestion des animaux est affectée, nous avons plus de pertes de bétail. Cela joue aussi sur le conflit entre agriculteurs et éleveurs. Les éleveurs sont de plus en plus tentés de prendre les terres des agriculteurs, mais les agriculteurs veulent préserver leurs terres, alors cela crée des tensions. Un autre indicateur que nous voyons, c’est au niveau des retenues d’eau. Avant, un barrage et une retenue d’eau d’une profondeur de deux mètres suffisait à conserver l’eau jusqu’à la saison suivante. Maintenant, l’eau s’évapore. On doit creuser des retenues de 4 mètres de profondeur.
En combien de temps avez-vous vu ces changements ?
Les choses ont mis une vingtaine d’années à se produire. Quand nous étions petits, les pluies venaient plus tôt. Et il y avait aussi plus de semences locales qui « donnaient » bien. Aujourd’hui, beaucoup de semences locales n’ont pas eu le temps de s’adapter à l’augmentation des températures, elles ne rendent plus car le temps de pluie s’est réduit. Du coup, dans le cadre de l’ODE, nous poussons au développement de semences adaptées. C’est vital pour nos villages. Mais c’est difficile. Nous aimons nos semences locales, et avec le réchauffement, c’est comme si ce patrimoine local n’avait plus de valeur !
Et en ville ?
Il y a plus de chaleur, et plus de poussière. Actuellement, en décembre, on respire énormément de poussière à Ouagadougou. Auparavant, cela venait plutôt en février, lors des plus fortes chaleurs. En novembre-décembre, les températures se sont élevées. On voit aussi des espèces d’arbres qui disparaissent. Les Karités et les Nérés (arbres à farine) disparaissent au Nord. Les figuiers aussi disparaissent de plus en plus, et tout cela est remplacé par des épineux.
Comment voyez-vous la COP21 ?
Nous sommes loin de la France, mais nous suivons cela de très près. La télévision nationale burkinabé en rend compte tous les jours. Nous espérons que le premier accord sera concrétisé et signé par tous. Ce qui nous déçoit un peu, en tant que Burkinabé, est qu’on parle maintenant de « responsabilité mondiale ». Mais l’Afrique ne contribue presque pas au réchauffement global. 2 ou 3%, pas plus. Alors qu’elle en souffre directement. Ce sont les pays du Nord qui ont pollué vraiment beaucoup, et longtemps. Nous attendons une prise de responsabilité concrète du Nord, des actes, pas des discours. Ici nous sommes très mobilisés sur le terrain, avec les églises. Nous faisons tout notre possible pour renforcer les communautés de base, encourager la multiactivité pour permettre des compléments de revenus qui aident les familles à tenir le coup quand les récoltes ne rendent rien. Nous nous battons pour trouver les meilleures semences, et favoriser l’agriculture durable. Nous formons les gens dans les villages. Ne nous nous oubliez pas dans vos prières.