Une Tour de prière francophone pour les Burkinabè

Retour sur l’histoire des « Tours de prières » et sur l’initiative de cette « première tour de prière de la francophonie », lancée par un pasteur burkinabè de Ouagadougou, Mamadou Karambiri.

C’est dans le « petit prophète » Habakuk, dans l’Ancien Testament, qu’on en trouve l’inspiration : « J’étais à mon poste, Et je me tenais sur la tour ; Je veillais, pour voir ce que l’Eternel me dirait, Et ce que je répliquerais après ma plainte » (Hab 2, 1-2). S’appuyant sur le double modèle de la prière d’intercession et de la tour de veille, des entreprises missionnaires pentecôtistes et charismatiques ont développé, depuis la seconde moitié du XXe siècle, des Tours de prière. Ces édifices singuliers réunissent, dans un bâtiment élevé (pas nécessairement une tour), des locaux principalement dédiés à la prière d’intercession.

Le premier exemple retentissant est celui d’Oral Roberts (1918-2009), entrepreneur pentecôtiste et charismatique américain ancré dans la culture de la Bible Belt (Sud des Etats-Unis). Roberts a édifié en 1967, au sein du campus universitaire qu’il a mis en place à Tulsa (Oklahoma), une Tour de prière de plus de 60 mètres de haut. Esthétique et spectaculaire, chargée d’une symbolique ascendante qui invite à relier la terre et les cieux, cette construction en acier et en verre était avant tout conçue pour abriter des activités de prière, orientées vers l’adoration, la louange et l’intercession.

Précédents en Oklahoma et en Inde du Sud

Le second exemple tout aussi spectaculaire est celui de Duraisamy Geoffery Samuel Dhinakaran (1935-2008), pasteur indien, évangéliste et fondateur en 1986 de l’Université Karunya dans le Tamil Nadu (Inde). A l’origine du ministère charismatique Jesus Calls Ministry, soucieux de focaliser son action pastorale au service du soulagement des souffrances, il fait construire une première tour de prière en août 1983 à Madras (Chennai). D’autres suivront. Paul Dhinakaran, fils et successeur, accompagne son père puis poursuit son oeuvre, qui aboutit à la construction de tours de prière dans 12 pays différents, tandis que 49 tours sont édifiées en Inde. L’objectif est d’abord d’y assurer la prière, si possible 24H/24 et sept jours sur sept, via une rigoureuse organisation dédiée.

Découvrant une telle Tour de prière lors d’une première visite effectuée au siège du Centre International d’Evangélisation (CEI) à Ouagadougou, au Burkina Faso, la question fuse : d’où vient l’idée ? Firmin Some, un des responsables du département audiovisuel du CEI, mentionne la Bible (Habakuk) et le pasteur indien Dhinakaran. Il se trouve que Mamadou Karambiri, « apôtre » de la francophonie charismatique et fondateur du CEI, s’est effectivement rendu en Inde, où il a suivi des séminaires animés par DGS Dhinakaran, fondateur des tours de prière indiennes. Quelle est l’histoire de cette tour, et sa fonction ?

« La première tour de prière de l’espace francophone »

Sandra Fancello, première chercheure française à en avoir signalé l’existence, évoque cette tour comme « l’aspect le plus marquant et le plus innovant de l’entreprise de Mamadou Karambiri »,[1] remarque tout à fait justifiée à l’époque (2006), avant l’essor du complexe audiovisuel du CIE lancé à partir de 2008. La Tour de Prière de Ouagadougou consiste en un vaste bâtiment ocre rouge, couleur latérite, qui surplombe le sanctuaire du CEI (l’église la plus fréquentée du pays). Appelée aussi Mont Carmel, elle abrite de nombreuses salles de prière où se relaient intercesseurs et fidèles, quel que soit leur rattachement confessionnel. Elle se présente, sans doute à juste titre, comme « la première tour de prière de l’espace francophone ». Celles et ceux qui viennent y prier le font en effet principalement en français, même si d’autres langues ethniques, en particulier le mossi, peuvent être utilisées aussi. Selon le site internet de la megachurch, cette Tour de prière se veut « une balise qui encourage le peuple de Dieu à maintenir une vie de prière fervente et dynamique »[2].

Si l’élan vers Dieu est recherché, passant par un lâcher-prise et un abandon « dans l’Esprit », l’anarchie ou l’improvisation n’y sont pas de mise pour autant. Une organisation rigoureuse, auto-représentée à partir de métaphores militaires, veille à répartir les espaces, les groupes, les priorités. Intercession ici, délivrance là, ou conseil, selon les nécessités du moment. 24H sur 24 en principe, quelqu’un pourra toujours, sur place, recevoir une demande de prière par téléphone. Et les fidèles affluent. Les requêtes se succèdent.

Si, pour les héritiers des huguenots français, l’imaginaire de la tour renvoie surtout à la Tour de Constance et le fameux « résister » gravé dans la pierre par Marie Durand, la Tour de prière inaugurée le 7 mars 2002 par le pasteur francophone Karambiri constitue plutôt, quant à elle, un signe d’espérance pour les Burkinabè de la capitale, vers lequel se rallient non seulement des chrétiens de différentes étiquettes, mais aussi certains musulmans.

[1] Sandra Fancello, Les aventuriers du pentecôtisme ghanéen, nation, conversion et délivrance an Afrique de l’Ouest, Paris, Khartala, 2006, p.214.

[2] http://www.cie-mia.org/