Entre image et texte, quelle hiérarchie ? La Révolution Gutemberg (imprimerie) a privilégié la diffusion du texte. Cinq siècles plus tard, la Révolution Zuckerberg (numérique) multiplie tout: l’écrit bien-sûr, mais aussi et surtout l’image, qui semble désormais primer. Christianisme du Sola Scriptura (l’Ecriture seule), comment se situe le protestantisme dans cette mutation ?
Sans surprise, des appels à la vigilance se sont élevés dans ses rangs. Les raccourcis séducteurs et vénéneux des écrans envahissants ont suscité des critiques. Dans le sillage du théologien français Jacques Ellul (1912-1994), des mises en garde ont pointé le risque de dérive idolâtre que nourrissent les nouvelles technologies. Mais reconnaissons-le: les protestants ont majoritairement fait bel accueil aux innovations numériques, en particulier dans le domaine télévisuel.
Depuis 1955, chemins de Présence Protestante
Loin d’être à la traîne des catholiques, réputés plus à l’aise avec la culture de l’image, les « fils et filles de la Réforme » ont appris à faire rimer Ecclesia Reformata avec camera, et Huguenot avec réseau. Le paysage télévisuel protestant francophone de ce début de XXIe siècle en porte la marque, à l’image du navire amiral de la visibilité protestante française à la télévision, l’émission Présence Protestante. Depuis sa création en 1955, à l’initiative du pasteur Marcel Gosselin, que de chemin parcouru ! Diffusée initialement par la télévision d’Etat (RTF puis ORTF), puis sur la chaîne publique Antenne 2, devenue France 2 en 1992, cette émission qui sensibilise aux facettes du protestantisme a connu un double processus. Elle s’est diversifiée, s’ouvrant davantage à la pluralité protestante et aux différents espaces de la francophonie. Elle s’est démultipliée, profitant de la Révolution numérique pour accroître son accessibilité, en particulier par le streaming (accès par internet). Depuis les quatre coins du monde, un internaute francophone visionne aujourd’hui, sans besoin de téléviseur, un sermon ou une chorale Gospel d’île-de-France ou de Guadeloupe, faisant écho à ces réflexions de Jérôme Cottin: « la virtualité d’internet, bien pensée et bien pratiquée, ne se substitue pas à la réalité, mais l’approfondit, la magnifie, la démultiplie »(1).
Doublée d’une chaîne YouTube depuis le 23 septembre 2013, Présence Protestante s’est inscrite dans une mutation télévisuelle bien plus large qui touche aussi, en Suisse, le Service Protestant de Télévision, rattaché à Médias-pro. Héritier de plus de 80 ans d’implication dans les médias audiovisuels, le SPT helvétique a connu le même processus de diversification des publics et des acteurs, et la même démultiplication permise par les réseaux numériques, sur fond de professionnalisation accrue. Depuis l’Argentine, le Vietnam ou l’Egypte, un protestant francophone peut aujourd’hui, en un clic, « vivre le culte par le texte, le son et l’image »(2) à Delémont, Troinex, Fleurier ou à la Cathédrale Saint-Pierre de Genève !
Eurovision protestante via TSR, France 2 et la RTBF
En dépit de sa démographie protestante clairsemée, la Belgique francophone n’est pas en reste. Financées et produites par la chaîne publique RTBF, des programmes ouvrent régulièrement une lucarne sur l’expression protestante francophone. Depuis le 2 avril 1958, date de la première émission télévisée belge sur les ondes de l’Institut National de Radiodiffusion (INR), l’identité protestante s’est redéployée année après année sur les écrans avec le soutien de l’Association Protestante pour la Radio et la Télévision (APRT). A l’âge des réseaux, France, Belgique et Suisse ont naturellement développés des partenariats : TSR, France 2 et RTBF travaillent ainsi ensemble pour la production de cultes protestants en Eurovision. Un exemple ? Le jeudi de l’Ascension 2014 (17 mai) en Eurovision, un culte présidé à Namur par le pasteur Luc Lukusa, de l’Eglise Protestante Unie de Belgique (EPUB), diffusait par-dessus les frontières un appel à « une confiance qui défie toute épreuve ».
Un message en direction de tous les protestants, que leurs racines soient européennes ou issues des disporas… Nul doute qu’il fait écho en Afrique sub-saharienne, où la Révolution Zuckerberg donne aujourd’hui une nouvelle amplitude à la polyphonie francophone.
(1) Jérôme Cottin, « Le monde d’internet », dans Jérôme Cottin et Jean-Nicolas Bazin, Vers un christianisme virtuel ? Enjeux et défis d’internet, Genève, labor et Fides, 2003, p.13.
(2) Slogan proposé par le portail internet https://celebrer.ch/