L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique sahélienne ont longtemps été marquées par une cohabitation religieuse pacifique. Fêtes partagées, mariages interconfessionnels n’étaient pas rares dans des pays comme le Nigéria, le Congo ou la Côte d’Ivoire. Islam et christianisme étaient certes en compétition, mais la compétition n’est pas la guerre, ni la haine. Et l’islam africain majoritaire, de l’école malikite (une des quatre grandes écoles du sunnisme), se montrait tolérant.
La situation a progressivement changé depuis trente ans.
La concurrence religieuse en général s’est développée, notamment sous l’effet de la multiplication de cultes locaux et de nouvelles Églises de Réveil (nées en terreau protestant), aux méthodes prosélytes ardentes. Par ailleurs, l’influence des pétro-dollars wahhabites irrigués depuis les réseaux saoudiens et qataris, notamment, modifie l’islam local. De tolérant, il se radicalise. Le chrétien, de prochain, devient indésirable.
Initiatives de prévention et d’observation du religieux
L’évolution n’est ni massive, ni inexorable, mais elle interroge les acteurs politiques, sociaux et religieux, sur fond de bruits de botte. Ce contexte marque les protestants comme les autres. Entre Méditerranée et Afrique australe, il se traduit, sur la scène politique, par de multiples initiatives de surveillance, de coordination et de prévention. En Afrique du Nord, le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs d’Algérie, Mohamed Aissa a ainsi révélé mardi 10 février 2015 à Alger que le gouvernement « a donné son aval » pour la création d’un Observatoire national de lutte contre l’extrémisme religieux. Une démarche qui s’inscrit dans un contexte africain plus global, comme l’illustre la création, il y a quelques jours, d’un Observatoire du religieux en République Démocratique du Congo (RDC).
La République Démocratique du Congo est un géant religieux et démographique. Ce pays de 2 345 000 km², soit 70 fois la Belgique ou 4 fois la France, déborde de créativité et bruisse de diversité. Ce pays de contrastes, menacé de balkanisation, est aussi le premier acteur protestant francophone du monde en matière démographique. Plus de 35% de la population se rattacherait au protestantisme, soit environ 30 millions de personnes, dont une majorité se rattachent à l’évangélisme et au pentecôtisme. C’est sans compter de multiples Églises de Réveil endogènes et une nébuleuse de nouveaux mouvements aux frontières floues, entre prophétisme, syncrétisme et commerce des miracles.
Un « Observatoire du Religieux en RDC » né en février 2015
Cette profusion d’offres de salut, dans le contexte d’un Etat largement absent, n’a pas que des conséquences religieuses. L’économie, la société et la politique sont impactées par la diversité religieuse congolaise. La constitution de RDC du 18 février 2006 consacre que la République Démocratique du Congo est un État laïque. Il n’existe donc pas en théorie de religion d’État. Cela n’empêche pas de multiples interrelations entre religion et politique, où les logiques clientèlistes ne sont pas absentes. Les institutions protestantes, à commencer par la grande Université Protestante du Congo à Kinshasa, jouent dans ce contexte un rôle régulateur.
Les autorités politiques n’ont pas manqué de faire appel, entre autres, à cette expertise pour la mise en place d’un Observatoire du religieux en République Démocratique du Congo. Rédigés avec l’aide d’un juriste, les statuts viennent d’être déposés (en langue française), sous l’autorité du professeur Gaston Mwene Batende, coordinateur du nouvel observatoire. L’article 1 stipule ceci :
« Il est créé à Kinshasa, dans le cadre de la législation en vigueur en République Démocratique du Congo, une organisation non gouvernementale à caractère scientifique interdisciplinaire, national et international, dénommée : Observatoire du religieux en République Démocratique du Congo, ci-après appelé « Observatoire ». L’Observatoire est autonome, apolitique et confessionnellement indépendant. » (1)
Sensibilité aux recompositions du protestantisme
Ce nouvel Observatoire du religieux au Congo RDC se fixe les cinq objectifs suivants : fournir des données, favoriser les échanges scientifiques, permettre une réflexion prospective, observer et réguler les dynamiques d’évolution (capacité de proposition) et organiser des séminaires et manifestations scientifiques. Quatre membres fondateurs, tous universitaires, sont cités : les Prof. Gaston Mwene Batende, Elikia Mbokolo, Sabakinu Kivilu, et le dr Odon Kawaya Meya.
Sensible aux recompositions religieuses, notamment celles qui marquent à grande échelle le protestantisme, l’Observatoire a fait appel sans tarder à plusieurs experts et spécialistes des terrains évangéliques et pentecôtistes, dont le professeur Sébastien Kalombo, interviewé il y a quelques mois dans Regardsprotestants(2), ainsi qu’un chercheur français du laboratoire GSRL…(3) Témoignage d’une prise de conscience croissante des enjeux sociétaux posés par la diversification religieuse tous azimuts, cet observatoire est un signe des temps. Le grand dynamisme des Églises et mouvements issus des protestantismes, joint à l’essor des néo-christianismes endogènes, constitue un des facteurs qui explique l’émergence de ce type de structure de veille. Avec en perspective, un terrain de recherche aussi foisonnant que les étoiles célestes balayées par nos télescopes.
(1) Extrait des statuts (39 articles) de l’Observatoire du Religieux en République Démocratique du Congo, transmis en février 2015.
(2) Sébastien Kalombo, « S’attarder sur les miracles plutôt que sur l’Evangile », entretien sur Regardsprotestants, publié le 15 octobre 2014.
(3) Note de Regardsprotestants : il s’agit de Sébastien Fath, l’auteur de ces lignes, membre du Groupe Sociétés Religions Laïcités.