Williane Edel a travaillé avec l’historien Patrick Cabanel sur le thème des influences calvinistes en milieu pentecôtiste et charismatique en France et au Brésil. Entretien.
Premier volet de l’entretien avec Williane Edel
Bilingue en portugais et en français, Williane Edel est l’autrice d’un master de recherche EPHE sous la direction de Patrick Cabanel. Brésilienne, installée en France avec sa famille, elle a développé une connaissance fine des différences culturelles et religieuses entre le Brésil et l’hexagone. Dans ce premier entretien, elle nous présente son parcours et son regard de Brésilienne sur le paysage culturel et protestant français.
Williane Edel, pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Williane Edel, je suis Brésilienne, j’ai émigré en France à l’âge de 20 ans. Il s’agissait plutôt d’une émigration pour des raisons socioéconomiques. Ma mère était déjà là, basée en France, et je l’ai rejointe avec ma sœur. J’ai essayé pendant trois ans de rentrer à la Faculté de droit, en région parisienne. Je voulais étudier le droit. Je n’ai pas réussi. J’ai fait alors un autre choix, lié à un de mes grands centres d’intérêt, et je me suis inscrite à l’Institut Protestant de Théologie (IPT) de Paris. J’ai entamé ma formation théologique là-bas, et depuis trois ans, je me suis engagée avec Patrick Cabanel pour un master de recherche sur la thématique des influences calvinistes en milieu pentecôtiste et charismatique en France et au Brésil.
Pourquoi avoir choisi ce sujet de recherche ?
Sous l’angle de l’histoire et de la sociologie, cela m’intéresse de réfléchir à une problématique que j’ai rencontrée aussi dans ma vie. Je suis chrétienne, de tendance évangélique, je me suis convertie dans une Eglise baptiste charismatique. Dès mon adolescence, j’ai été confrontée à une situation où des personnes de mon église, des charismatiques, parlaient en langue, et en même temps, avaient également adhéré à la théologie calviniste, et se nourrissaient beaucoup de la nourriture réformée américaine. J’ai bien des fois été en contact avec des auteurs comme Piper, Stott, mais aussi Joyce Meyer, etc. Des auteurs qui se revendiquent du calvinisme, et aussi des auteurs charismatiques. Il faut savoir que les Eglises charismatiques, au Brésil, sont très dynamiques, aussi sur le plan intellectuel. Il y a beaucoup de partage, d’échange, d’innovation. Je viens d’une megachurch au Brésil, très vivante. Récemment, Robert McAlister Jr y a fondé son institut biblique, croisant charismatisme et calvinisme. Cela acte le fait qu’il y a une nouvelle proposition théologique qui s’est constituée. J’ai pu constater qu’en France, également, des convergences de ce type apparaissent. Quand j’ai constaté que Rémi Gomez et Nathan Lambert ont lancé un insitut de théologie qui intègre à la fois calvinisme et charismatisme, je me suis dit qu’il y avait vraiment là un sujet de recherche à creuser. Cela a confirmé mon choix.
En quelques mots, qu’est-ce qui vous a principalement marqué dans la découverte du protestantisme français ?
D’une part, le fait qu’il est très minoritaire, ce qui constitue une énorme différence avec le Brésil où les Eglises protestantes, évangéliques, pentecôtistes ont pignon sur rue. D’autre part, le fait qu’il est très intellectuel. C’est quelque chose de très marqué par sa culture et son histoire. Je suis étonnée de voir, en milieu protestant évangélique, le nombre d’intellectuels qu’il y a en France. C’est une forme d’évangélisme très riche, très distinguée, qui ne le sait pas peut-être encore, mais qui peut beaucoup apporter à des évangéliques comme le Brésil ou même les Etats-Unis.
Quel regard portez-vous sur la sécularisation française ?
C’est une autre différence avec le Brésil. C’est vrai qu’au Brésil, la religion n’est pas privée. On est très libre de notre expression. C’est une laïcité inclusive, on se côtoie tous, on se dit les choses. On peut s’exprimer franchement sur sa foi, ouvertement, sans qu’il y ait pour autant des ruptures dans les relations. On peut avoir l’impression que la société brésilienne est très chrétienne mais il y a aussi d’autres religions très actives, comme les religions afro-brésiliennes, le spiritisme. Côté chrétien, c’est très varié, entre les différentes sortes d’églises évangéliques, l’Eglise Universelle du Royaume de Dieu, le catholicisme…. L’environnement religieux est très très riche, et il s’exprime assez fort.
Les évangéliques sont aujourd’hui en nombre très important au Brésil, ils ont plus de voix sur la place publique, mais les autres minorités religieuses arrivent quand même à avoir de l’expression. En France, c’est très compliqué. La laïcité française est très intéressante dans son esprit, mais j’ai l’impression qu’il y a une surinterprétation. Je trouve que c’est un peu difficile en tant que croyante d’exprimer ma foi. On fait en sorte de ne pas heurter l’autre, il y a comme une dissymétrie. D’un côté, le discours anticlérical est violent et assumé, dominant. De l’autre les croyants sont priés de se faire le plus discret possible. En matière de respect de la diversité des opinions, je préfère le cadre au Brésil, plus ouvert et varié. Je trouve que la France s’est un peu renfermée. J’ai dû changer mon comportement. Ici, en France, il n’est pas facile de parler de Dieu et de théologie, sauf en contexte approprié. Pour la diaspora brésilienne, ce point est difficile. Le peuple brésilien est communicatif et axé sur le spirituel.
Sur le plan protestant et évangélique, quel regard portez-vous sur la diaspora brésilienne en France ?
Il a de plus en plus d’Eglises brésiliennes, je ne les connais pas toutes. Il y a par exemple l’Eglise « Pain de vie », qui se réunit régulièrement à Paris au théâtre Déjazet. Une autre, à Sevran, en région parisienne, est très populaire, en particulier parmi les jeunes. Il s’agit de l’Eglise IBNJ, qui se présente comme « une Eglise pour les nations », et qui attire plus de 1000 personnes tous les dimanches (1). Elle propose des cultes en traduction simultanée, français/portugais, et développe un ministère de danse typiquement brésilien, parmi d’autres choses. Il me semble que les pasteurs brésiliens, en France, ont un peu tendance à être à part, même en ce qui concerne ceux qui parlent le français. Ils préfèrent, pour l’instant, rester dans leur communauté. Mais il y a des exceptions, et on peut rencontrer, comme à Château-Thierry, un pasteur brésilien à la tête d’une Eglise française (Fontaine de Vie). Quant à l’implantation de l’EURD en France (Eglise Universelle du Royaume de Dieu, Eglise néopentecôtiste très autoritaire), je ne la connais pas précisément (2) ; je n’ai pas non plus fréquenté cette Eglise au Brésil, mais je sais que là-bas, elle est en train de perdre énormément de fidèles.
(1) Site internet de l’Igreja IBJN Paris : www.ibnjparis.com/
(2) En France, l’EURD, visée par des signalements à la MIVILUDES, a changé de nom pour prendre celui de Centre d’Accueil Universel.